Deux auteurs nous emmènent en voyage littéraire au Liban, entre quête des origines, amour pour ce pays et évocation de la guerre civile.
Selim Nassib, journaliste et écrivain, est né à Beyrouth. Dans "Le Tumulte" (L'Olivier, août 2022), il propose un livre en deux parties : derrière son protagoniste Youssef sont racontés un récit de jeunesse, les années étudiantes et militantes dans le Liban des années 1960, puis l'invasion par l'armée israélienne et le retour comme journaliste accrédité pour Libération. Sabyl Ghoussoub est né à Paris et a grandi en France, mais ses origines sont au Liban. Ecrivain, chroniqueur pour "L'Orient le Jour" et photographe, il publie "Beyrouth-sur-Seine" (Stock, août 2022).
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La peur et la violence c'est la même chose, un battement de cils les sépare.
J’avance lentement la main et saisis le coin du drap qui lui couvre le ventre. Avec douceur, je le soulève. Ce que je découvre en dessous, c’est qu’elle ne porte pas de culotte comme nous mais toutes sortes de bizarreries. C’est peut-être normal puisqu’elle est kurde. Une étoffe grossière lui passe entre les jambes, fait le tour des hanches et se noue autour de la taille. Incroyable que ce tissu plié sur plusieurs couches soit le seul barrage. Il est un peu lâche, il suffirait de l’écarter un peu.
Des centaines de milliers d’Égyptiens, Syriens, Irakiens, Palestiniens, Libanais travaillaient dans les Émirats ou les autres pays du Golfe et pas seulement dans l’enseignement ! Entrepreneurs, hommes d’affaires, ingénieurs, médecins, artisans, ouvriers, ils venaient de tous les coins du monde arabe pour gagner leur vie ou essayer de faire fortune dans les pays de l’or noir. Pendant les années qu’ils passaient sur place, beaucoup adoptaient les mœurs locales, voilaient leurs femmes, se rendaient plus souvent que d’habitude à la mosquée et s’habituaient à leur rôle de mâle dominant dans la famille. Le climat superstitieux et rétrograde dans lequel ils baignaient était illustré par les histoires de « souffrances du tombeau » telles qu’on nous en racontait à l’école : après notre mort, Dieu allait nous punir si l’on se comportait mal. « On a ouvert la tombe d’une femme qui portait des jupes courtes de son vivant, disait l’une de ces histoires, et l’on a découvert que ses jambes étaient brûlées… » Une prédicatrice, qui venait nous parler des pratiques religieuses, se concentrait elle aussi sur les « souffrances du tombeau » – le terme était consacré – et nous assurait que si l’on aimait les musiciens et les chanteurs, on irait en Enfer. Je n’en croyais pas un mot, bien sûr, mais c’étaient tout de même des leçons dont le but était de terroriser. On n’entendait parler que d’un Dieu terrible tenant un bâton pour nous punir. Le jour où ils rentreraient chez eux, les expatriés arabes répandraient naturellement ce modèle obscurantiste. Tel est le secret de l’expansion quasi mécanique d’un islam rigoriste qui a servi de terreau à l’islamisme, sans parler de la multitude d’écoles coraniques financées par les pays du Golfe. Heureusement, j’avais mon père pour faire contrepoids. Il nous racontait des histoires formidables sur Dieu, il nous faisait rire, il ne nous obligeait à rien : « Dieu n’est pas comme ils disent: il est le Clément, le Miséricordieux. Celui qui livre son cœur à Dieu, celui-là est musulman, quelle que soit sa religion. »
A la prison de la Sûreté, je vois un alignement de caméras et de magnétophones que les agents en civil ont cassés, des appareils photo saisis, et même les marchandises confisqués aux pauvres marchand de jus de fruits.
A Copenhague, j’ai rencontré le rédacteur en chef qui avait autorisé la publication des caricatures du Prophète - parution qui avait provoqué l’énorme scandale que l’on sait. Je ne soutenais pas la publication de ces caricatures, mais j’étais favorable à la liberté de pensée et d’expression. C’est ce que j’ai écrit sur mon blog, ajoutant que cette liberté-là était plus importante que la liberté religieuse – parce que si la première est assurée, la seconde l’est forcément, alors que si la liberté religieuse prime, elle écrase toutes les autres.
Ton père, lui, vient d’Irak. Elle appuie toujours sur ces mots, ton père, et quand elle s’adresse à une tierce personne, elle dit lui, sans jamais l’appeler par son nom. Mais tu n’es pas irakien ! Je ne comprends pas. C’est quoi, alors, être syrien, être irakien ? C’est avoir les papiers, et nous ne les avons pas. Mais l’accent, est-ce que nous l’avons, l’accent ? Ça dépend.
Chez nous, on parle français. Sauf papa qui ne parle jamais, ou rarement. Le français, c’est maman. La frangié, c’est comme ça que ses sœurs l’appellent. Ça lui est égal : elle continue de me pousser vers le français comme s’il était son seul miroir, mon seul avenir. Elle s’y retranche. La France a quitté le Liban depuis plus de dix ans mais même de loin elle reste « la tendre mère » qui veille et protège, la source qui pourvoit en images, en rêves. L’arabe, lui, est réservé aux échanges avec les épiciers ou les bonnes, mais c’est aussi la langue de tout ce qui est sale. Niquer, bite, putain, maquereau, masturber, enculer, tous ces mots n’existent pas en français. Le français est une langue aussi bien élevée que moi, en costume de velours à bretelles et chemise de satin, innocent petit garçon à sa maman, respectueux.
On m’a dit que juifs et musulmans exigeaient de leurs femmes qu’elles se couvrent la tête à cause de la crainte qu’elles inspirent, parce que montrer ses cheveux est assimilé à une provocation sexuelle. On m’a aussi dit que dans l’histoire de l’humanité, la femme est à la base de la vie, la mère de l’univers. L’homme a toujours redouté sa puissance et son pouvoir, et il a camouflé sa « peur d’elle » en « peur pour elle ». Pour se protéger, il l’a confinée à la maison et a réduit son rôle social au strict minimum, laissant les religions pérenniser cette structure de domination qu’elles n’avaient pas inventée. C’est pourquoi la place de la femme est inférieure et ses enfants prennent le nom de leur père plutôt que le sien. Cette théorie me paraît plutôt convaincante.
Mais le long de ses coursives lambrissées décorées façon La croisière s'amuse, des combattants errent, le regard perdu, la kalachnikov à la bretelle. La collusion incongrue de la guerre et du divertissement fait qu'on ne sait plus très bien dans quelle histoire on est.
Il me fait épouser sa cambrure parfaite, toujours plus haut, et me porte jusqu’au point où il accumule toute sa puissance. J’arrache mon plaisir avec férocité, je le dispute à l’attraction du trou, je l’agrippe comme un avare qui croyait avoir tout perdu. Depuis le sommet, je fixe le rocher plat aux crêtes coupantes où je vais m’écraser, je n’y peux plus rien. Ce moment d’arrêt où je suis chaudement tenu prisonnier, ce court instant de lévitation est précisément ce que je cherche. Une seconde de suspens, une seule, volée au cours normal du temps, et la décharge prodigieuse me précipite la tête en avant.