Citations de Sinan Antoon (91)
- Pourquoi ? Il vous plaît ? Qu'est-ce qui vous plaît dans son travail ?
Je me suis senti un peu embarrassé, car je ne me posais pas trop la question de savoir ce qui me poussait à aimer une oeuvre d'art. La beauté me touchait droit au coeur, de façon immédiate et spontanée.
Il s'attarda sur le David de Michel-Ange avant de mentionner l'art baroque, où les formes avaient acquis du dynamisme et une nouvelle importance. Arrivé aux artistes modernes, il nous parla de Rodin puis de Picasso. "Au début du XX° siècle, Pablo Picasso a bouleversé la sculpture, en assemblant dans une même oeuvre des matières et des objets hétéroclites. Cette innovation a été cruciale dans l'histoire de la sculpture, observa-t-il, de la même façon que le collage a marqué un tournant dans celle de la peinture."
Sa manière de recueillir les citations pour clarifier ses exposés était ingénieuse; sa référence à l'aphorisme de Picasso, par exemple : "L'qrt est un mensonge qui nous révèle la vérité."
"Il est de la musique dans la pierre, disait Pythagore." Ainsi M. Issam al-Janabi commença-t-il son premier cours d'histoire de la sculpture, dont je me souviens encore dans le détail. Il ajouta ensuite que Goethe s'était approprié cette idée en définissant l'architecture comme de la "musique gelée".
Il m'avait rendu la liste et répliqué en usant de cette phrase dont il m'avait déjà rabattu les oreilles : "Celui qui ne veut pas crever de faim doit savoir gagner son pain, mon fils !" Il avait ensuite ajouté, après un lourd silence : "Si tu ne veux pas travailler avec moi, apprends au-moins à faire quelque chose d'utile ! Quelque chose qui soit bénéfique aux autres et à toi-même !"
- C'est un cadeau pour t'encourager à développer ta vocation et ton style, s'est-il expliqué.
Avoir du talent, c'est important, c'est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Il faut que tu cultives ton don par la pratique, en t'exerçant régulièrement. Et, qui sait ? Tu auras peut-être aussi l'occasion plus tard de faire les Beaux-Arts ?
Il choisit deux des miens : l'un inspiré du "Chant de la pluie", du poète Badr Shakir al-Sayyab, et l'autre figurant la main de mon père, son chapelet aux doigts.
Jawad Salim est l'un des artistes majeurs de l'époque moderne en Irak, voire dans le monde arabe entier. Son travail pictural mêle le passé et le présent, ainsi que l'Orient et l'Occident. Il s'inspire de l'ensemble des légendes irakiennes, les mythes anciens et les contes populaires.
L'Irak a été le premier et le plus grand atelier d'art du monde. C'est en Mésopotamie que l'invention de l'écriture a eu lieu, c'est là que les villes et les temples ont d'abord été édifiés, et c'est dans l'ancien Irak également, à l'époque sumérienne, que les premières oeuvres artistiques sont apparues. Ces peintures et ces sculptures remplissent maintenant les musées du monde entier et il en reste peut-être beaucoup non exhumées. Nous sommes tous les héritiers de cet énorme trésor de civilisation.
Toujours avec passion, il nous expliqua que l'art est intrinsèquement lié au désir d'immortalité : "Limmortalité, cette obsession humaine fondamentale, dit-il, car la présence de l'homme sur terre est éphémère. Cela le pousse à vouloir laisser une trace de son passage avant de disparaître. L'art se pose donc comme un défi à la mort et au temps, et glorifie la vie. Les Mésopotamiens, qui nous ont précédé dans la vallée du Tigre et de l'Euphrate, ont été des pionniers pour avoir posé ces questions dans leurs légendes et dans l'épopée de Gilgamesh.
"L'art, affirma-t-il, est le miroir à travers lequel l'homme peut contempler son existence et son univers; ses rêves, ses cauchemars, son imaginaire, sa réalité et même ses illusions, ils s'y reflètent tous."
L'idée que je voulais partager avec vous, c'est que l'art permet à l'enfant enfoui dans l'adulte de s'épanouir. Il lui donne la liberté de jouer, et de célébrer le monde et sa beauté.
- Pablo Picasso, un des peintres les plus importants du XX° siècle, a dit : "Tout enfant est un artiste. Le problème est de savoir comment le rester une fois devenu grand."
Mais les paroles mielleuses du début se sont révélés des paroles en l'air, comme celles de partis politiques avant de prendre le pouvoir.
Je croyais que la vie et la mort étaient deux mondes différents, séparés par des frontières bien nettes. Je sais maintenant qu'elles sont étroitement unies. Elles se sculptent l'une l'autre. L'une boit dans le verre de l'autre.
La plupart des cœurs étaient épuisés, ils se sont enfuis des corps qui les portaient, laissant derrière eux des cavernes où dorment les bêtes.
Et les voilà, les nouveaux Saddam, qui détruisent aujourd'hui les statues, à tort et à travers, poussés par l'illusion d'effacer le passé et de défigurer le présent par la force. C'est comme s'il y avait une énorme hache que chaque nouveau régime arrachait au précédent, pour poursuivre la destruction et creuser la tombe encore plus profonde.
Je me suis toujours dit qu'à l'époque de Saddam, le pays était une prison aux dimensions légendaires. La prison s'est maintenant scindée en plusieurs cachots, aux dimensions confessionnelles, séparés par de hauts murs en béton, et couverts de sang par les barbelés.
Ma petite histoire, que j'ai voulue différente, a été engloutie par la grande histoire, il n'en reste plus rien. Ma petite rivière, que j'ai voulue pleine de couleurs et de vie, a été forcée, en suivant ses courbes et ses méandres, d'abandonner ses couleurs pour qu'elles se fondent toutes dans le grand fleuve qui emporte tout vers la mort.