Sofia Cavalletti

L'enfant- qui « n'a pas son égal en tant qu'être métaphysique » - a montré une joie et une dignité particulières quand on a ouvert devant lui les portes de l'infini.

Il va de soi qu'une éducation morale est nécessaire, tout comme un certain apprentissage de l'effort et du sacrifice, mais "il y a un temps pour tout" comme le dit le livre de l'Ecclésiaste, et l'enfance n'est pas le temps de l'effort moral. L'enfance est - à notre avis - une époque de développement tranquille, où l'enfant, encore libre de tout souci, peut se donner entièrement - et il le fait, dès que les conditions le lui permettent - à la jouissance des personnes et des choses qui lui sont données. Après six ans, de nouveaux facteurs entrent en jeu et l'horizon cesse à jamais d'être aussi dégagé. Le temps où mettre l'accent sur l'oeuvre de l'homme viendra, celui pour une invitation à l'engagement moral au niveau des comportements aussi, mais autant ne pas anticiper les choses en confondant les époques. Ce faisant, nous privons l'enfant de l'accès à cet aspect de Dieu dont il a le plus besoin et nous mettons à mal - à notre avis - jusqu'à son éducation morale qui doit reposer sur l'amour et être la réponse de son amour à l'amour que Dieu lui a donné. Nous nous méprenons sur le visage même de Dieu

Quand nous présentons la parabole du bon Berger aux enfants, nous leur annonçons l'amour protecteur du Christ; c'est ensuite l'enfant lui-même - comme nous l'avons vu - qui, en faisant l'expérience de l'amour de maman, de papa, des frères et soeurs, des amis, etc., «lit» cet amour par rapport au bon Berger. Dans ce cas précis, l'un des termes du signe est fourni par la catéchèse, l'autre par l'expérience; non seulement l'enfant cherche à faire le lien entre ces deux éléments, mais il trouve seul l'un des deux, en voyant dans le plus petit le reflet du plus grand. L'enfant lit avec la clé christologique le signe éthique de l'amour dont il fait l'expérience.

L'étonnement est une valeur dynamique qui nous pousse non pas à l'affairement, mais à l'activité, une activité à laquelle nous allons nous consacrer comme plongés dans la contemplation de quelque chose qui nous dépasse. La particularité de l'étonnement consiste probablement dans le fait que l'on y trouve ensemble, indissociablement mêlées, l'activité et la contemplation.
Je précise tout de suite que par émerveillement, je n'entends pas «Alice au pays des merveilles», L'émerveillement est une chose très sérieuse qui loin de conduire hors de la réalité ne peut surgir que d'une observation attentive de celle-ci. L'éducation à l'étonnement se traduit par une éducation qui nous aide à pénétrer de plus en plus profondément dans la réalité. En survolant les choses, nous ne serons jamais étonnés de quoi que ce soit. L'émerveillement n'est pas une émotion propre aux gens superficiels; il ne peut prendre racine que chez ceux qui sont capables de poser leur esprit sur les choses et savent s'arréter à les regarder.

De plus, il y a la conviction - bien qu'elle ne soit pas souvent clairement avouée - que I'enfant n'est pas capable de recevoir des choses si grandes. Je crois que la réalité est tout autre: c'est nous, au contraire, qui sommes incapables de les leur transmettre avec la simplicité essentielle nécessaire, et la soi-disant incapacité de l'enfant n'est qu'un alibi pour dissimuler notre ignorance et nous épargner une recherche ultérieure et plus approfondie. Il est bien plus commode et moins complexe de parler à l'enfant de l'ange gardien, que du Christ mort et ressuscité. La « théologie » au sens fort du terme n'est pas une science de luxe; chaque fois que nous nous montrons incapables de la transmettre aux enfants et aux ignorants, il nous faut nous remettre en question et en approfondissant la chose, nous nous apercevrons que cela dépend de notre ignorance.

Avant tout exposé sur l'éducation religieuse des enfants, il nous faut commencer par nous poser une question de fond: est-il légitime de leur donner une éducation religieuse?
Aujourd'hui, à juste titre, nous sommes très attentifs à ne pas imposer aux autres nos choix personnels; en initiant les enfants à toute vie religieuse, leur donnons-nous quelque chose de très précieux pour nous, mais sans lequel eux seraient tout aussi heureux et dont l'absence n'aurait pas la moindre incidence sur leur vie et leur développement harmonieux? Pire encore, ne compliquons-nous pas leur vie avec des superstructures qui ne sont pas essentielles, en les chargeant ainsi d'un poids qui ne correspond pas à leurs exigences?
Ce sont là des questions de fond, auxquelles il nous faut chercher la réponse chez l'enfant lui-même.

Quand l'étonnement sera devenu une attitude fondamentale de notre esprit, il conférera un caractère religieux à toute notre vie, car il nous fait vivre en ayant conscience que nous sommes plongés dans une réalité insondable et incommensurable. Si nous sommes prêts à prendre en considération la réalité dans toute sa complexité, elle se montrera si riche de choses inattendues et d'éléments que nous ne pouvons ni saisir ni circonscrire, que nous ne pourrons pas fermer les yeux devant la présence en elle de quelque chose ou de quelqu'un qui nous dépasse. Même en le définissant d'"absurde", nous reconnaissons d'une certaine manière son incommensurabilité. De son côté, l'homme religieux s'exprimera dans un hymne de louange et d'admiration.

Nous avons déjà dit qu'un contrôle de type scolaire est impossible (et s'il l'était, cela serait irrévérencieux) surtout sur les points au contenu le plus riche. Toutefois, la prière peut en quelque sorte nous permettre de vérifier notre travail, dans le sens où, si la prière des enfants est pauvre et vide, cela signifie que l'annonce na pas été faite correctement; il se peut que le contenu soit pauvre, ou bien qu'il ne corresponde pas aux exigences de l'âge du groupe, ou bien encore qu'il nait pas été donné dans un esprit suffisamment religieux. Par conséquent, si l'on peut parler de contrôle, il concerne notre manière de faire le catéchisme; ce qu'il faut corriger, c'est notre travail, non la prière des enfants.

Le sens de l'essentiel de l'enfant est probablement l'élément qui impose à l'adulte la discipline la plus sévère. Combien de superstructures se sont accumulées dans notre vie intérieure. Si nous voulons aider l'enfant à s'approcher de Dieu, il nous faut - avec patience et courage - nous débarrasser sans pitié de ces éléments superflus et chercher à aller toujours plus loin vers le noyau vital des choses. L'étude et la prière sont nécessaires. L'enfant lui-même sera notre Maître dans cette recherche de l'essentiel, si nous savons l'observer.
Que peut donc faire l'adulte, face à un être qui semble vivre avec Dieu un rapport si différent du sien?

Il est évident qu'une catéchèse fondée sur les exigences de l'enfant suit une méthode probablement plus indirecte que celle qui se fonde sur l'expérience. Nous nous demandons toutefois si une aide directe est possible dans le domaine de l'esprit. Nous cherchons nous l'avons dit - à nourrir d'une nourriture religieuse une certaine «faim» de l'enfant; ensuite, il lui reviendra de pourvoir sa vie quotidienne de cette nourriture. En quelque sorte, on pourrait dire que nous fournissons à l'enfant les instruments qu'il aura ensuite à utiliser seul: nous suivons une méthode qui répond à sa demande muette: «Aide-moi à faire par moi-même. »