Sophia Laurent

« Ce soir, ils seront dix à faire face à leur futur. Serez-vous là pour les accompagner ? »
Cette émission me dégoûte. Une fois par an, la vie de dix personnes dans le monde est bouleversée. Elles sont sélectionnées pour devenir les « dix » joueurs. Leur quotidien bascule du jour au lendemain : si leur nom est prononcé, c’est la mort qui les attend au tournant.

À cinquante-deux ans, Maria me connaît sur le bout des doigts. Je fréquente son établissement depuis que j’ai quitté le New Jersey pour venir faire mes études à New York. Je lui ai raconté ma vie, mes déboires, ma solitude. L’accident de mes parents. Elle sait tout de moi. À l’inverse, je ne sais presque rien d’elle, elle n’est pas du genre à s’épancher. À l’exception de deux choses : Elle a un fils de vingt-cinq ans. Et elle est une très bonne oreille.

Warren. Nous ne sommes éloignés que depuis quelques heures, pourtant j’ai l’impression de l’avoir quitté depuis des mois. Son absence pèse sur mon cœur tel un poids en plomb. Je ne pensais pas qu’il me manquerait tant…

Nous pouvons combattre ce fléau en nous unissant, tous contre lui. Tous ensemble, nous sommes plus forts que seuls dans notre coin.

Ce challenge, ce futur que nous sommes en train de créer, le motive, le transforme. Il navigue entre chacun, sourire aux lèvres. C’est lui, le commandant de cette future armée. C’est lui qui ira leur insuffler de l’espoir et leur permettre de revivre. C’est lui qui va prendre la parole d’ici quelques minutes pour englober chacun dans ce nouveau groupe. Et, si j’en crois la lueur dans son regard, il en est très fier.

Vous avez besoin de quelque chose ?
« De tes lèvres », ai-je envie de répondre. Mais ce n’est pas le moment de céder à mes pulsions, à cette envie folle de plonger sur lui et de l’attirer dans un recoin sombre afin de faire des choses pas très catholiques.

À l’âge où certains connaissent leurs premières amours, je subissais la jalousie : combien de personnes m’ont dénigrée parce que j’étais une « fille de » ? Et personne ne m’a protégée contre ça ! Alors, si je peux aujourd’hui aider Liam, je suis ravie de le faire ! — Maintenant, si vous continuez à parler de renvoyer Liam, je n’hésiterai pas à évoquer votre position sur les réseaux sociaux et aux journalistes que ça intéressera !

Je sais de quoi je parle, le harcèlement est partout. Dans mon milieu, il est si récurrent que c’en est étouffant. On abat les plus faibles pour rester au plus haut. C’est ainsi que ça fonctionne, quand on a beaucoup d’argent.

J’ai vraiment l’impression de redécouvrir ce qu’est l’amitié, depuis que je suis ici. Mais je suis encore loin de l’amour, par contre… Surtout en considérant que Warren m’a totalement ignorée ce matin. Mais, au moins, cette étape m’a permis de comprendre que je ne ressentais plus rien pour Logan. Les triangles amoureux, c’est vraiment naze.

Je n’ai pas le droit d’être attirée par un homme tel que lui. Nos vies n’ont rien en commun. Nous ne sommes pas compatibles.

La chute se fait comme au ralenti, j’ai même l’impression de revoir le film de ma vie, ces soirées people ou j’ai passé tant de temps, ces moments entre amis dont je n’ai plus eu de nouvelles depuis des siècles, depuis que je leur ai prêté de l’argent.

Tu sais qu’il est beaucoup plus facile de parler à quelqu’un qu’on ne connaît pas ? Lâcher ce qu’on a sur le cœur, ça peut faire du bien, dis-je de mon ton le plus doucereux.

Dans mon milieu, le malheur est tabou. On le cache derrière des sourires de façade, des médicaments ou des verres de champagne. Être confrontée à la douleur véritable, à cette détresse qui émane de Liam, c’est tellement déstabilisant… tellement difficile. Je n’arrive pas à le supporter.

Yes, i will survive ! I will surviiiiiive ! La liberté emplit mes poumons, se mêle à cette joie de plus en plus intense. Danser sans que l’on me juge. Danser sans arrière-pensée.
Vivre.

Ma vie est un mélange d’argent, de sexe et d’ambition. Avoir couché avec Fred me l’a bien rappelé. Dès que mes parents seront blanchis, je retrouverai mon quotidien.

J’ai l’impression d’être une autre Paxie, une marguerite à côté de la rose rouge que je suis habituellement. Impossible qu’on pose les yeux sur cette femme. Ce serait trop bizarre.

La campagne. Le bout du monde. Un lieu où Internet et la télévision n’existent peut-être même pas, qui sait ? Voilà où Marco m’envoie. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Je hais déjà cet endroit avant de le connaître. Il est trop différent de mon quotidien, de mes rues bondées, des cafés latte caramélisés, des tours new-yorkaises. Trop loin… Beaucoup trop loin.

— Elle va où, la petite dame ?
La petite dame ? LA PETITE DAME ? Je ne suis pas une petite dame ! Je suis une millionnaire appauvrie qui est obligée de se cacher dans le coin le plus perdu de l’Amérique ! Mais je ne suis pas une PETITE DAME !

Je ne supporte pas ces riches qui vivent sans faire attention aux autres. Ils sont pleins de fric et ils se foutent du petit peuple. Alors, s’ils sont envoyés en taule, tant mieux !

L’inconvénient quand on veut rester incognito au milieu d’un endroit bondé, c’est que l’on est obligé de garder ses lunettes de soleil, même quand il fait sombre.