Le monde n' a plus de couleurs. J'ai perdu l'Afrique et l'amour de ma mère. Il ne me reste rien.
Je la regarde cette armée d'occupation, ces hommes arrogants qui patrouillent dans la ville tandis que les civils vont et viennent en feignant de ne pas les voir et je me dis: "C'est l'armée du IIIe Reich à Paris, c'est les colons au Cameroun, les immigrants face aux indiens."Et tout en moi se révulse à l'idée que je participe à ce système.
La femme, entièrement dissimulée sous un voile noir, même ses yeux sont invisibles, les mains gantées, marche à côté d'un homme en sarouel. Ils avancent tous les deux comme un couple en promenade, banal, mais alors qu'ils nous dépassent je remarque qu'ils portent chacun, dans le dos, une mitraillette. Sidérée, je les regarde passer.
Petit à petit, je commence à percevoir les différentes strates de la société de Rakka.Au sommet de la pyramide, les étrangers. Une majorité d'hommes, quelques femmes, venues de tous les pays du monde.
Je pourrais me faire passer pour un converti moi aussi. Il suffirait que j'apprenne quelques sourates, des mots d'arabe, que je me fasse pousser les cheveux et la barbe.
La route s'étend tel un rideau jaune dans la plaine dévastée. Les bombardements de l'armée de Bachar el-Assad ont creusé des cratères entre lesquels subsistent, çà et là, quelques fermes misérables parfois encore inoccupées. Mais on ne voit pas les habitants. Jamais. Ils se cachent.
"Ils avancent tous les deux comme un couple en promenade, banal, mais alors qu'ils nous dépassent je remarque qu'ils portent chacun, dans le dos, une mitraillette. Sidérée, je les regarde passer."