Nazisme et occultisme, entre mythes et histoire. Stéphane François, politologue, Didier Le Masson, spécialiste de la franc-maçonnerie allemande et Philipe Valode, auteur et historien, s'interrogent autour de cette table ronde sur la réalité et la prégnance des idées occultistes dans la doctrine nazie. Autour d'Emmanuel Kreis, doctorant EPHE.
Extrait de la préface par Johann Chapoutot
Il le fait ensuite en dissipant des mirages. Son objet, dans les essais que l’on va lire, est l’« occultisme nazi ». Stéphane François montre admirablement que ledit occultisme est un mythe (nécessaire, comme tous les mythes) qui est postérieur à 1945. Autrement dit, s’il y eut des occultistes dans les rangs nazis, comme il y eut des philatélistes et des dentistes (mais, en l’occurrence, il y eut moins d’occultistes que de collectionneurs de timbres ou de stomatologues !), ceux-ci n’eurent aucune espèce d’influence ou d’efficace. Pour avoir un peu travaillé sur la question, j’ai pu m’apercevoir que si quelques mages autoproclamés croisaient dans les eaux troubles du Reichsführer SS Heinrich Himmler, leur réel pouvoir se bornait aux goûters partagés avec leur ami, esprit faible porté sur le mystère. Himmler induisait de ses conversations de salon de thé des idées fulgurantes sur la fécondation des femmes germaniques ou sur le nez grec, dont il faisait immédiatement part à ses services sous la forme d’instructions aussi urgentes que comminatoires. Lesquels services répondaient poliment que, oui, bien sûr, il en serait fait selon ses désirs, avant de glisser la dernière lubie de leur chef dans le tiroir expressément dévolu à cet effet.
La postérité, c’est-à-dire nous, entre autres, tient pourtant à cette thèse occultiste. La raison en est aussi simple que celle qui poussa les premiers homo sapiens à subodorer, derrière la foudre ou le vent, quelque entité numineuse, quelque divinité puissante : Nihil est sine ratione – il y a une raison à tout. Et lorsque cette raison excède notre faculté rationnelle – parce que le phénomène est trop terrifiant, exorbitant, sidérant –, on en fabrique une pour notre confort, notre contentement ou notre consolation
La présence ou l'absence de preuve peut-être un signe un indice. Dans cette vision du monde, n'importe quel fait ou non-fait peut subir une importation au sein de l'explication conspirationniste. Il peut donc servir à en confirmer la validité. L'indice justifie l'explication autant que celle-ci est justifiée par lui. Il faut garder à l'esprit qu'en paralitterature tout est signifiant, tout est au service d'une norme que jamais le texte ne remet durablement en question, et cela de façon inlassablement répétitive.
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Cette antimodernité est doublée par un refus du progressisme hérité des Lumières. En effet, les deux grands courants de l'écologie politique, le courant progressiste et le courant conservateur, divergent par leur vision du monde. Le premier croit encore au progressisme issu des Lumières, celui-ci trouvant une solution au travers du développement de la techno-science. Le second croit à une possible restauration d'un règne naturel, sous le patronage de mère Nature, ce règne pouvant dégénérer en un éloge de l'inégalitarisme et du différencialisme.
Sur la notion de "chercheurs indépendants", chère aux milieux complotistes, et leur mode de pensée: ces cultures marginales sont peu étudiées d’un point de vue universitaire. La grande majorité de cette littérature pseudo-scientifique est le fait de « chercheurs indépendants », très souvent peu rigoureux, et il s’agit d’une litote. Ces personnes sont guidées par le désir de tout expliquer, y compris (et surtout) par des spéculations irrationnelles ou pseudo-scientifiques. Ces auteurs sont en outre attirés par le sensationnalisme. Enfin, ils ne respectent pas les règles élémentaires de la recherche scientifique : ils préfèrent l’autocitation ou la citation d’auteurs proches plutôt que les références solides et pertinentes ; ils sélectionnent donc leurs citations en fonction de leurs convictions plutôt qu’en fonction de leur intérêt scientifique ; outre les simples erreurs (dont personne n’est à l’abri), ils pratiquent l’omission ou le renvoi inexact ; ils font un usage spécieux des sources et pratiquent la citation inexacte (non-respect de la citation en soi ; citation erronée d’un auteur ou d’un texte, etc.) ; enfin, ils ont une fâcheuse tendance à convertir les spéculations en faits établis, etc.
Leur objectif est de saper les fondements moraux et idéologiques d’une société qu’ils détestent en cherchant à diffuser, en banalisant, leurs thématiques.
Dans le cas nazi, il reste difficile d’envisager cette perspective simple, et fondatrice des sciences humaines : les nazis furent des êtres humains qui évoluèrent dans un univers de sens et de valeurs, qui affectaient leurs actes d’une signification et qui agissaient pour satisfaire leurs intérêts. C’est difficile, en effet, car l’intensité et l’extension des crimes nazis est inédite et inouïe dans l’histoire de l’humanité. Il fallait donc exclure les nazis de l’ordre humain pour attribuer leur comportement à une causalité infra-humaine (animale, barbare…), para-humaine (folie) ou supra-humaine (possession démoniaque…). C’est là que l’occultisme trouve tout son sens et tout son emploi. Certains y croient : des forces noires, invoquées et convoquées par des mages quelconques, se seraient bel et bien saisies de ces hommes pour en faire des monstres. D’autres sont plus sérieux : l’occultisme était tellement présent dans les rangs nazis que militants et criminels y ont cru, au point de réaliser des horreurs dignes des plus belles possessions médiévales. Il n’en est rien. Stéphane François, en reprenant le dossier, décape l’étude du nazisme de ce vernis misérable – tout en montrant la force structurante du mythe chez les néo-nazis et autres sectateurs d’extrême droite. Voilà deux bonnes raisons, au moins, de lire son livre.
Toutefois, Hitler se moquait lui aussi ouvertement des « lubies » des Völkischen, en particulier dans Mein Kampf, ainsi que de celles de Hess et d’Himmler, bien qu’Hitler fût qualifié en 1921 de « frère armane », c’est-à-dire qu’il était considéré comme un membre de la communauté païenne völkisch, par un médecin de cette nébuleuse, Babette Steininger{77}. Les « lubies » ésotérisantes et völkisch d’Himmler exaspéraient d’ailleurs de plus en plus le Führer et il dut donc, à partir de 1938-1939, les assouvir sous « le manteau » pour reprendre une expression de Peter Longerich, dans le cadre de l’Ahnenerbe (Institut Héritage des ancêtres ou l’Institut de la recherche ancestrale – les traductions varient), qui était l’institut de recherche de la SS et dont nous parlerons plus longuement plus loin dans ce livre{78}.
L'inéluctable guerre des races à venir au sein des sociétés multiculturelles. Cette "théorie" est de plus en plus présente dans les différentes tendances de l'extrême-droite occidentale depuis le 11 septembre 2001. Dans l'esprit de ses promoteurs, il s'agit de reconstituer le berceau, dans une optique circumpolaire élargie, de la race blanche. (230)
Ce serait une grave erreur que de réduire cette survivance des doctrines raciales sur lesquelles s'est édifié le national-socialisme à une posture de provocation sénile ou à la manifestation puérile de l'attrait pour le fruit défendu. (5)
Les positions soutenues par les différentes structures néo-droitières varient énormément, allant de l'extrême droite à une forme d'anarchisme ethnicisant. (13)
Liens entre l'extrême droite et l'écologie ou l'écologisme