Le miracle est arrivé ! Il se nomme Mirèio, le poème que Frédéric Mistral, le fondateur du Félibrige, publie en 1859, au mitan du siècle des nationalités. À partir de là, et jusqu'à aujourd'hui, va fleurir, au Sud, une immense renaissance des langues et des littératures. En Provence, mais aussi dans le Languedoc, la Gascogne, le Limousin et l'Auvergne. C'est cette saga culturelle du Midi que raconte ici, avec science et style, Stéphane Giocanti.
Qui sont ces rebelles en butte au jacobinisme et à la stigmatisation des « patois » ? Quelle a été leur fabuleuse aventure héroïque et collective ? Quel rôle l'occitanisme a-t-il joué au sein de ce réveil ? Comment ce renouveau a-t-il influencé Alphonse Daudet, Jean Giono ou Marcel Pagnol ? Que reste-t-il de ce rêve à l'heure où les locuteurs naturels connaissent un crépuscule ? Et que nous dit cette résistance alors que la France s'interroge sur son avenir ?
Avec ce panorama inégalé, complet et clair, alerte et accessible, Stéphane Giocanti nous initie comme jamais au Sud, à sa terre et à son ciel, à ses peuples et à ses parlers. Une célébration lumineuse.
Essayiste et romancier, Stéphane Giocanti est, entre autres, l'auteur de T. S. Eliot ou le monde en poussières, C'était les Daudet, Une histoire politique de la littérature ainsi que de Kamikaze d'été.
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"La patrie, je lui dit merde quand il s'agit de littérature" dira un jour Léon Daudet.
Ô politique, je te hais ! Je te hais parce que tu es grossière, injuste, criarde et bavarde; parce que tu es l'ennemi de l'art, du travail; parce que tu sers d'étiquette à toutes les sottises, à toutes les ambitions, à toutes les paresses. Aveugle et passionnée, tu sépares de braves cœurs faits pour être unis; tu lies, au contraire, des êtres tout à fais dissemblables. Tu es un grand dissolvant des consciences, tu donnes l'habitude du mensonge, du subterfuge et, grâce à toi, on voit des gens devenir amis de coquins, pourvu qu'ils soient du même parti.
La contre-utopie défie l'utopie. La révolution bouscule la tradition. La morale cherche à se soumettre le politique. Émile Zola défend un humanisme social qui s'appuie sur les droits de l'homme. À travers Dreyfus, Clemenceau – homme politique et romancier abondant – vise l'ennemi intérieur : « L'affaire Dreyfus est bien plus qu'une affaire judiciaire, elle est une révolution qui va nous permettre de heurter de front et de vaincre des forces comme la haute armée, le clergé, les classes conservatrices de notre pays, [...] de faire jaillir de la France autre chose, d'autres idées que celles d'une tradition royale et chrétienne, de dégager des forces neuves et de briser des traditions périmées.
Au commencement des temps furent Victor Hugo et Émile Zola.
Telle est du moins la légende qu'on leur a forgée. Situés au zénith de la conscience républicaine et au firmament de l'imagination scolaire, ces écrivains d'abord libres connurent un enrégimentement étatique particulièrement soigné, dont Hugo eut l'heur de connaître les bénéfices dès son vivant.
Ces monstres sacrés fixent les limites. À eux deux, sortes de Charybde et Scylla – ou bien, si l'on préfère, d'alpha et d'oméga –, ils représentent la borne absolue, l'étroit passage que tous leurs successeurs ont à franchir pour trouver quelque place : suiveurs, imitateurs, repreneurs, héritiers, rebelles, ennemis, calomniateurs, tous auront à se définir face à ces deux monstres pour faire comprendre quelle attitude ils adoptent face à l'État, à la société, ou à toute autre composante naturelle de la politique.
Aujourd'hui encore, un homme politique se doit de publier au moins un livre, de se revendiquer de quelque écrivain marquant, et de respecter les classiques – s'il vient à soupçonner que ses concitoyens n'ont pas tous besoin de lire La Princesse de Clèves, le scandale est vertigineux. De Gaulle trouve chez Corneille le modèle de son éloquence ; Pompidou est l'ami de Léopold Sédar Senghor, Mitterrand celui de Marguerite Duras ; à Médan, le président Chirac célèbre Émile Zola ; François Bayrou, Jack Lang, Xavier Darcos et Nicolas Sarkozy ont donné dans le genre biographique. Tout nouveau président se cherche un Malraux et redoute un Chateaubriand.
Mais l'imaginaire français ne concerne pas seulement des individus, ni même une élite.
Dans la sphère politique, Hugo tient également une position suréminente. Dès le début du règne de Louis-Philippe, il a institué Quasimodo dans la conscience française comme un monstre aimable, incarnant le peuple en devenir. Près d'un demi-siècle après, lui assure la jeune République, le peuple est enfin éduqué, il dépasse Quasimodo, peut voter, etc. Selon les républicains, le poète des Châtiments est celui qui a su se dresser fièrement contre Napoléon III en le décrédibilisant par une poésie pamphlétaire que l'on espérait digne des Tragiques d'Agrippa d'Aubigné.
L'histoire politique de la littérature consiste-t-elle à distribuer Hugo, Zola, Barrès, Gide, Jarry, Montherlant, Breton dans les cases tellement attendues du démocratisme, du socialisme, du nationalisme, de l'anarchisme et de tous les autres mots en -isme ? En méditant sur nos grands aînés, de Victor Hugo à Richard Millet, il m'a semblé que ces catégories autorisaient de trop faciles rapprochements, qu'elles occasionnaient des histoires collectives remplies de clichés, de pièges et de trompe-l'œil, pour ne rien dire des étiquetages.
On sait le rôle fondamental que les écrivains ont joué dans l'affaire Dreyfus. Au-delà de l'événement, ils ont tracé des lignes de partage à la fois philosophiques et politiques dont le poids demeure pleinement aujourd'hui, dans des conditions historiques très différentes. À l'Affaire remonte la ligne de partage très franco-française entre les moralistes et les réalistes, entre ceux qui croient dans la supériorité de l'individu sur l'État et ceux qui mettent en avant les devoirs de l'individu envers cet État.
Heureusement pour ses œuvres, Zola outrepasse les limites scientifiques de son projet : ses romans sont poétiques malgré ses ambitions rationalistes. Ils sont souvent polémiques, partisans, injustes. Derrière l'anéantissement de l'individu par la nécessité sociale, et par-delà l'ancrage socialiste, on retrouve la vérité humaine dans ce qu'elle a de plus universel.
Zola reflète et renforce non seulement les idées sociales de la gauche, mais aussi la clé psychologique de celle-ci : la compassion.
De La Fontaine à Molière, jusqu'à Racine et Boileau, nombreux ont été les écrivains courtisans, et cela, pour la plus grande gloire de la France. « Les poètes de cour, observe Roger Caillois, de Pindare à Virgile, de Ronsard à Racine, tous se montrent souvent les plus artistes, et de l'aveu de beaucoup, les plus poètes. [...] Valets galonnés, habillés de pourpre et d'or, ils composent dans les palais, à l'ombre des puissants, de délicats chefs-d'œuvre.