Moi, je crois qu'au final on meurt de son passé, de son enfance, de cette époque quand on n'a pas eu le matériel pour suturer les plaies. On a beau essayer de colmater autour de la pierre dans le trou, ben y reste des brèches, ça suite toujours un peu, plus ou moins lentement, sans bruit, comme un filet de vie qui s'écoulerait pour un aller simple vers nulle part, un goutte à goutte du pus de l'existence. On se vide toujours de soi par l'enfance, suriné par l'écho d'un rire perdu, dézingué par trois notes de musique oubliées, disloqué par des mots assassins qui te mosaïquent le citron.
J'écris pour la blessure, pas pour le pansement. Seul le sang qui encre m'intéresse.
Le plus dur, c'est de tuer les souvenirs. L'autre qui a tant partagé, qui a tout vu, été témoin de qui nous fûmes, de ce que nous avons vécu, efface avec son départ la moindre photo jaunie. Rien n'a existé ?
Les blessures de gosse, c'est comme un lavabo rempli d'eau bouillante. Si tu poses doucement ta main bien à plat juste sur la surface, ça paraît presque froid, ça ne fait rien. Mais si tu plonges la main dedans, tu te brûles et la douleur devient vite insupportable.
Cet homme n'a fait qu'une chose et ça a pourtant changé ma vie. Il m'a regardé avec douceur, et tendresse. Pis il a cru en moi. Il me l'a dit. Il ne connaissait rien de moi, mais il m'a demandé de lire "Le Saguoin" de Mauriac.
La campagne, Sébastien avait trouvé ça aussi ennuyeux que la ville. Très jeune, il comprit que l'on pouvait être heureux partout, ou nulle part. Cela ne dépendait pas de l'endroit, mais d'avec qui on vivait, et de ce qu'on y faisait.
Puis, le divorce des parents qu'est une guerre qui sera pourtant jamais dans les manuels d'Histoire. Où y a pas de photos des trous d'obus, pas de minutes de silence pour les fusillés, pas de flamme pour le gamin inconnu ...
J'ai voulu briller comme le soleil, alors que je n'étais qu'un reflet de la lune.
On meurt de son enfance, s'y consumant à petit feu. L'humain se croit invincible, mais chaque jour la terre se rapproche du soleil un peu plus. Plus la lumière sera là, plus la chaleur l'accompagnera. La lucidité brûle l'âme et finira par l'exploser.
Pour protéger les gosses, les adultes inventent des stratagèmes alambiqués, des plans sibyllins. C'est surtout eux qu'ils protègent. Ils s'épouvantent de leurs propres mots, de leurs regards fuyants, de leurs émotions mal domptées, mal digérées. Alors ça controuve, ça feint, ça détourne. Ça utilise un mot pour un autre, ça calcule en codes verbaux, se creuse en langages parallèles, implique des pré-requis "secret défense".