Le Déménagement
A Jacques Prévert.
Voici le carton du malheur
Dessus
C’est écrit
Bouquins d’art
Dedans
Il lui met aussi un grand coup de pied
Le déménageur
Il n’y croit pas
Qu’il fera ça dare-dare
Les livres ça pèse lourd
Et dans l’escalier il trébuche
Le déménageur
Et le carton s’ouvre
Et les livres s’envolent
Comme des oiseaux légèrement trop lourds
Et l’on voit sur les ailes des couvertures
Le Louvre
Une lyre
Les livres ça pèse lourd
Mais le Louvre a une lyre
Et dans les yeux du déménageur
Se reflète une pyramide
Qui compose des vers
La pointe en bas
La tête à l’envers
Comme celle du déménageur
Et toute la rue voit s’élever
Dans le ciel
Loin de la maison
Loin du camion
Là-haut
Une jolie nuée d’oiseaux de papier
Qui refusent la paperasserie
Et qui chantent
Les oiseaux
Avec le bec faisant le grand écart
Le mot du grand art
Liberté.
Si ce recueil est bel et bien composé de poèmes entièrement originaux, il n’en constitue pas moins une œuvre d’hommage. Exercice de style et porte d’entrée vers quarante univers différents, depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours, il se fait aussi bien l’écho de la voix enamourée de Pierre de Ronsard que du ton contemporain et désabusé de Michel Houellebecq — auteur dont l’un des romans m’a définitivement poussé à changer de vie et à écrire avec une ardeur qui ne s’est jamais démentie depuis. Jusqu’au jour où je me suis lancé le défi d’écrire à la manière de ces poètes qui m’ont tant fait rêver, qui m’ont tout fait ressentir, de la mélancolie d’un Alphonse de Lamartine ou d’un Paul Verlaine à l’humour farfelu d’un Alphonse Allais ou d’un Raymond Queneau. Et je me suis mis à changer de couleur, à me promener caméléon pour essayer des décors jusqu’aux confins du surréalisme cher à André Breton. Habituellement pétri de doutes, je me suis fait croyant dans un cantique racinien avant de chuter mallarméen dans l’abîme du Néant. Quel plaisir ai-je éprouvé dans ces tentatives de synthèse d’une marque poétique ! Faire chanter la voix rebelle d’Arthur Rimbaud ou encore le timbre spleenétique de Charles Baudelaire, c’était les ressusciter un moment pour les entendre à nouveau. Les avoir sous la plume pour leur dire merci. Evidemment, il n’était pas toujours aisé de saisir l’essence d’une œuvre complète. J’ai donc opéré des choix au gré de mes goûts personnels. Ainsi, le jeu sur les homonymes ne résume pas l’œuvre de Robert Desnos mais il me permettait de proposer ici une variété de tons intéressante, il me semble, pour ne pas lasser le lecteur. En tout cas, j’espère donner envie à « mon semblable » de découvrir ou de redécouvrir ces artistes dont la postérité est plus ou moins manifeste. En effet, on ne lit peut-être plus guère les rondeaux galants d’un Vincent Voiture ou les éloges à la nature d’un Maurice Rollinat, et pourtant le charme demeure.
Maintenant, il est grand temps de vous laisser réaliser combien « Je est un autre ».
Elle poussa un cri devant son époux, assis la
tête en arrière contre la vitre, la bouche affreusement
badigeonnée de rouge à lèvres.
I
Tes yeux de ciel nu
Quand tes yeux de ciel nu sur mon cœur défait dansent
Se peut-il qu’un éclat recouvre d’éternel
Ce qui n’était qu’un corps oublieux de tout sens
Et qui se voit plongé dans la foi du rimmel
Il me faudrait une aile arrachée au néant
Pour atteindre l’éther que tu promets si bien
Mais si tu ne descends
poser ta main céans
Comment puis-je aborder cet iris aérien
Moi le simple mortel aux portes du divin
Je ne veux que ce souffle exhalé de tes lèvres
Qui pourrait soulever ma plume d’écrivain
Jusqu’à conter ton âme ainsi qu’un pur orfèvre
J’attendrai tant qu’il faut que tu daignes venir
Est-ce folie qu’ensemble une histoire commence
Pourtant je sens déjà cet incroyable empire
Quand tes yeux de ciel nu sur mon cœur défait dansent
La Déesse de glace
A Arthur Rimbaud.
J’ai quitté la bonté de tous ces bons bourgeois
Pour un mot — Liberté — qui a laissé des traces
De pas très délicats dans la neige — et, sans voix,
J’ai suivi son destin loin des noires paroisses.
Mais la fatigue est là et je tombe de froid.
Je maudis et leur Dieu et tous leurs patenôtres
Pour n’avoir pu l’atteindre — ô moi, le piètre roi
D’une reine lointaine au sommet de nous autres.
Mon sang bouillonne, noir de colère — un charbon !
Je suis bien réchauffé — j’en ai de belles fièvres —
Et je me l’imagine, un baiser sur mes lèvres…
Le glas se meurt — si loin du bon bourgeois si bon —,
Je retrouve la foi : ô Déesse de glace,
Ta bouche est le seuil pur d’un rêve très loquace.
Les Fleurs de l’Artifice
A Charles Baudelaire.
Quand l’ardente couleur de la boisson divine
Flambe dans notre sang pour égayer le cœur,
O pauvres condamnés creux comme une ravine,
Que rêver de plus beau qu’être pleins de liqueur ?
Quand l’inspiration lentement se devine
Dans la voix des tourments qui sont notre seul chœur,
Que ne bénissons-nous tout ce qui nous avine
Et nous rend de l’Ennui le mystique vainqueur ?
Il faut plus de flots purs qu’un déluge ne verse,
Plus de torrents déments qu’aucun souci n’inverse
Pour enfin nous noyer dans de charmants parfums.
O fleurs de l’Artifice, êtes-vous moins superbes
Que celles résistant dans de farouches herbes
A l’ombre des tombeaux de nos frères défunts ?
II
Mon arbre
Tu es la beauté relevée
Après les chutes innombrables
La hache des cœurs fatiguée
N’a plus vers toi l’air redoutable
Je ne sais pas d’où vient ta force
Toi dont l’amour fut déchiré
Tes cicatrices sur l’écorce
Ne t’ont qu’à peine pénétrée
Moi je rampe sur tes racines
Comme un insecte sans ses pattes
Et te voir debout me fascine
Quand le moindre coup dur m’éclate
Tends-moi une branche ô mon arbre
Elève-moi dans tes secrets
Avant de finir sous le marbre
Je veux t’effeuiller sans regret.
V
Dix beaux orteils
Seule merveille
Dix beaux orteils
Pointe des pieds
Ciel étoilé.