Moi, le sang
... je vous l'ai dit, mon essence, ma disposition et ma viscosité racontent toujours quelque chose. Je suis un conteur né. Les histoires découlent et les récits bouillonnent lorsque l'on a remarqué ma présence.
Elle a compris que, dans les contrées perdues aux confins de la Terre Sainte, les contes et les légendes ont sur le monde une emprise toute particulière. Il aura fallu que la guerre aveugle les rois. Il aura fallu une bataille violente, une revanche cruelle et des âmes rongées par le remords pour convoquer une entité qui corrompt les hommes et les encourage à s'entre-dévorer. Il aura fallu, enfin, le sacrifice d'une âme innocente pour affamer ce maléfice dont les quelques relents s'étioleront dans le vent qui parcourt l'Hassana.
Moi, le vent
Ah ! Regarde étranger ! Regarde comme les masques tombent ! Regarde comme je les arrache de mes bourrasques puissantes, comme je les déchire et comme ils s'effritent pour disparaître et me nourrir ! Oui, étranger, ces fourbes, ces chuchoteurs m'ont délaissé, refusant de partager leurs histoires et me forçant à broder une intrigue alors qu'ils m'en dissimulent les fils. Tant d'irrespect ! Voilà ce à quoi ça vous a menés ! Maintenant, je montre ma colère et, hurlant, me déchaîne en tempête mortelle.
C'est à ce moment que j'ai compris que, sous ses atours de redoutable courtisane, Sybille est une dame sympathique et intelligente qui a su tracer une limite entre la politique, qu'elle appelle "son château", et ses sentiments, qu'elle nomme "son jardin". J'ai réalisé, ce soir-là, que ma place est entre ses arbustes et ses fleurs.
Mais garde à l'esprit que jamais une idée qui diffère de la tienne ne doit être occultée par l'ignorance !
La cour du roi est un jeu d'échecs et chacun sait que la pièce la plus puissante est la dame.
- Seuls les hommes maudissent, jeune Eudes. Les livres, eux, sont innocents.
Je suis une cité sainte
(...)
Voilà plus d'un siècle que les hommes s'entretuent pour moi. Chaque pavé de chaque rue, chaque pierre de chaque alcôve, chaque angle de chaque habitation portent le sceau d'une destinée. Ici, un enfant a été décapité, là, une femme a été violée, là, encore, un vieillard a été battu à mort. Toujours sous l'oeil bienveillant du Seigneur.
(...)
Depuis ce jour je suis devenue la capitale du royaume des fous (...)
L'apothicaire est probablement le seul à pouvoir démêler les fils de cet écheveau et clarifier la situation. Mais pour cela il faut qu'il recouvre ses esprits. Voilà deux semaines qu'il arpente mollement les rues de Jérusalem sans résultat ! Le démon est maintenant derrière nos murs, invisibles et vicieux. Il peut s'immiscer dans les interstices les plus fins et frapper où bon cela lui semble !
Moi, la lèpre
Longtemps, jai sillonné les contrées immenses et torturé la chair des humains. J'en ai tordu des muscles. J'en ai mangé des visages. J'en ai emporté des âmes. Mais je me suis fatiguée. Je n'ai plus la même virulence qu'autrefois. Ma substance purulente s'est dispersée dans les royaumes et cette dilution m'a sévèrement affaiblie.