Balançant comme tout un chacun - en l'occurrence, toute une chacune ! - entre une humilité vraie - je ne suis qu'une femme de plus, et il y en a eu plus de quarante trois mille, l'année passée, à être confrontées au cancer du sein - et une outrecuidance pas moins vraie, j'ai hésité un peu à délivrer tant de moi-même. Et alors ? Qu'importe, quand on sait quand vous savez, que le cancer du sein vous met à nu, dans tous les sens du terme et dans toutes les figures de style...
Dans le déroulement de la prise en charge, des soins, des traitements, le moment de l'annonce est le temps, l'étape la plus importante pour vous, patiente, parce que la façon d'ont vous réagissez lors de l'annonce augure assez souvent vos réactions à venir : abattement total, rejet, déni, fuite, colère, agressivité, vous passez par toutes les couleurs ou tout les cercles de l'enfer. Ce qu'on vous annonce, avec ou sans pincettes, est finalement inconcevable, au moins dans un premier temps. Vous vous sentez perdue...
Il est bon de vous faire accompagner à la première consultation, car il y a bien des chances pour vous que vous ne reteniez rien, vous ne compreniez rien de ce que le médecin vous dit, pour que vous risquiez de traverser dans les clous quand le feu passe au vert...
Plus tard, à la deuxième consultation, vous reviendrez avec votre carnet, vos questions écrites les unes en dessous des autres, listées dans un ordre d'importance qui n'appartient qu'a vous, et vous noterez les réponses par peur d'en oublier en chemin.
Mais pour l'instant, l'effet de l'annonce vous a mise en état de choc.
J'ai peur
Peur d'avoir peur
Peur de ma peur
Je tiens ma peur par les cornes
Et de peur que je m'endorme
Elle rugit
Elle mugit
Elle cogne
Peur j'ai peur
Peur d'avoir peur
Peur de ma peur
Je tiens ma peur par mes cornes
Et de peur que je m'en aille
Elle crie
Elle brule
Elle braille
Peur j'ai peur
Peur d'avoir peur
Peur de ma peur
Je tiens ma peur par les cornes
Et de peur que je me sauve
Elle ricane
Elle crane
Et moi je gagne.
Sœur
Ma sœur de cœur
Ma sœur de cœur et de sang
Ma sœur de tourments
Ma sœur d'orages
Ma sœur de compliments
Sœur
Ma sœur de cœur et de sang
Ma sœur de rires
Ma sœur de sève
Ma sœur de tous les instants
Sœur
Ma sœur de cœur
Ma sœur de cœur et de sang
Ma sœur des contraires
Ma sœur à l'envers
Ma sœur des hivers
Sœur
Ma sœur de cœur
Ma sœur de cœur et de sang
Ma sœur de chair
Comment te le dire
Comment te dire ma sœur...
Au volant de ma vie
Un crabe déjanté
M'a fait une queue de poisson
Au volant de ma vie
Un dérapage pas contrôlé
Une saleté de poison
Aquaplaning sur mes larmes
Mes cris de mots
Jamais finir dans un poteau
Décélération en douceur
Longer la ligne blanche
Ne céder qu'à ma priorité
Au volant de ma vie
Un crabe déjanté
M'a fait une queue de poisson
Au volant de ma vie
J'irai donc à pied
Vers la délivrance
Au volant de ma vie
Un crabe déjanté
M'a fait une que de poisson
Au volant de ma vie
Un dérapage pas contrôlé
Une saleté de poison
Aquaplaning sur mes larmes
Mes cris de mots
Jamais finir dans un poteau
Décélération en douceur
Longer la ligne blanche
Ne céder qu'à ma priorité
Au volant de ma vie
Un crabe déjanté
M'a fait une queue de poisson
Au volant de ma vie
J'irai donc à pied
Vers la délivrance.
Les femmes n'y sont pas décrites comme des négligentes, éternelles mineures, toujours fautives et finalement responsable de leur maladie. Pourtant, point de naïveté, d'ignorance ou de cécité psychique : Stéphanie Honoré regarde sa maladie en face. Elle ne ferme les yeux sur rien, pas plus sur l'isolement induit par la discrimination sociale attaché au cancer du sein que sur les souffrances liées au parcours thérapeutique.
De quoi avez-vous besoin, vous, malade ? Qu'on vous comprenne. Qu'on comprenne que vous n'avez pas envie que le médecin commence à vous annoncer des horreurs alors que vous êtes a moitié nue, en train de vous rhabiller suite a un examen. Qu'on vous parle comme on parle normalement à un adulte, clairement et distinctement. Quel que soit le temps qui vous est accordé, le principal pour vous est d'être comprise.
À travers ce témoignage, le lecteur comprend comment et pourquoi le cancer du sein peut meurtrir une femme au plus profond d'elle-même, la détruire même quelque fois, mais aussi la rendre autre, plus forte, plus belle, et même plus entière malgré la perte du sein. On saisit mieux pourquoi le cancer du sein affecte toujours la relation avec la famille, les amis, l'entourage proche ou lointain.
Le temps - cette grande équation irrésolue du personnel hospitalier - n'est pas extensible. Il est juste relatif, comme disait Einstein : le quart d'heure d'attente vécu par le patient - très patient - devant la porte du médecin pour attendre ses résultats vaut une éternité, mais le quart d'heure passé avec ce même médecin en cherchant du réconfort, une trop brève seconde.