Susan Stoker

Il est réconfortant de savoir que, quand quelqu’un disparaît, il y a des gens pleins d’empathie, comme vous tous, qui s’en inquiètent et veulent les ramener chez eux. Comme vous pouvez le voir, je vais bien. Je n’ai jamais été kidnappée et je suis désolée que mon frère l’ait cru, ne serait-ce qu’une seconde. Je me suis cogné la tête dans l’accident et, apparemment, je me suis éloignée, hagarde, en quête de secours. Je me suis effondrée et j’ai été découverte par mon amie, Allye Martin. Quand je me suis réveillée et que j’ai compris ce qui se passait, il était trop tard et mon frère, déjà paniqué, avait informé tout le monde de mon kidnapping. Mais je vais bien. Je suis saine et sauve.

Pourtant, la pensée d’avoir quelqu’un de son côté qui lui donnait la sensation de n’être pas aussi seule était trop puissante pour qu’elle y résiste. Elle n’avait pas fait confiance à qui que ce soit depuis très longtemps, mais Ro ne venait-il pas de lui prouver qu’on pouvait se fier à lui ? Au moins un petit peu ? Elle savait qu’il pouvait très bien lui passer de la pommade en cet instant pour mieux la jeter ensuite en pâture au lion, seulement elle n’avait pas d’autre choix.
Faisant fi de la prudence, Chloé prit une profonde inspiration et chuchota :
— Non. Je ne suis pas ici de mon plein gré.
L’expression sur le visage de Ro demeura inchangée. Le seul signe lui indiquant qu’il l’avait entendue, ce furent ses doigts qui resserrèrent leur emprise sur sa tête l’espace d’une seconde.
Puis il approcha la sienne et effleura tout doucement ses lèvres des siennes.
Chloé sursauta à ce contact. On aurait dit qu’elle venait de se faire électrocuter. C’était fou, parce que le baiser de Ro avait été léger, sans rien de sexuel. Mais à la seconde où elle sentit ses lèvres, quelque chose changea entre eux.

J’ai l’impression que bien trop de gens ont pris des décisions à ta place et que tu n’as pas eu assez l’occasion de décider par toi-même, du moins publiquement. Je t’ai dit qu’on devait parler, qu’on doit tout savoir sur ton frère et ce que tu sais sur ses affaires, notamment quelles peuvent être ses motivations. Mais en retour, tu devrais être informée de tout ce que nous savons.

Elle n’était pas partie.
Et pas seulement ça : elle dormait.
Elle dormait.
Il savait mieux que personne que les femmes en fuite, ou qui avaient été violentées, dormaient rarement à poings fermés. Elles étaient nerveuses et à cran, ce qui leur interdisait de dormir profondément.
Mais le fait que Chloé ait continué à dormir alors qu’il l’appelait, ouvrait et fermait des portes et, plus globalement, ne se soit pas montré tellement silencieux pendant qu’il explorait sa maison en disait long.
Combien de temps resta-t-il là, à la regarder dormir ? Ro n’aurait su le dire. Ce fut son téléphone qui, en sonnant, le contraignit finalement à bouger. Il s’empressa de le récupérer dans sa poche, mais pas assez vite pour l’empêcher de déranger Chloé.

J’espère que tu décideras de me faire confiance. Je pense ce que je dis. Je ne te ferai jamais de mal et je ferai aussi tout ce qui est en mon pouvoir pour empêcher autrui de t’en faire. Mais comme mes amis me l’ont dit, la confiance n’est pas quelque chose qui peut être imposé, c’est quelque chose qui doit être donné volontairement. J’espère que tu prendras le temps de te relaxer. D’avaler des antalgiques. (Ses yeux allèrent se poser sur les cachets toujours posés sur la table de chevet.) Tu en trouveras de semblables dans mon armoire à pharmacie, dans leur emballage d’origine. Tu peux choisir ce que tu penses le plus efficace pour toi. Trouve-toi quelque chose à manger, regarde la télé, fais ce que tu veux.

Elle n’avait rien de spécial. Elle avait des cheveux roux épais, mais la plupart du temps, elle était trop occupée pour en faire quoi que ce soit. Lorsqu’elle s’exposait trop longtemps au soleil, elle avait encore plus de taches de rousseur atroces sur les joues et le nez. D’après son expérience, les hommes n’aimaient pas vraiment qu’elle soit si grande. Ils préféraient les femmes petites. Et Avery avait des muscles. Elle pouvait battre de nombreux hommes et même faire plus de tractions que certains. Ajoutez à cela une femme athlétique, indépendante, intelligente, grande, avec des taches de son... et vous obtenez des nuits solitaires.

— Tu es sûre que tu ne veux pas te changer ? Ces chaussures ne peuvent pas être confortables pour marcher des kilomètres en ville, demanda Ghost pour la troisième fois.
— As-tu vu les derniers Jurassic Park ?
Ghost était perplexe, mais il répondit par l’affirmative.
— Eh bien, je suis comme Claire, dit-elle. Elle a passé tout un film à courir en talons hauts pour échapper aux dinosaures sans sourciller. Je ne dis pas que je veux voir apparaître un Indominus Rex derrière Big Ben, mais tant que tu n’as pas l’intention de nous faire courir un semi marathon ou autre, ça ira très bien.

Je savais que papa ne parlait pas en son nom, il ne faisait qu’obéir à sa femme, mais il n’avait pas le courage de lui dire de dégager. La dernière fois qu’il est venu dans mon appartement, j’ai été affreux avec lui. Je lui ai dit des choses que je regrette encore aujourd’hui. Je lui ai sorti que maman était une garce sournoise et qu’il devait se dépêcher de divorcer. Je lui ai dit que je ne voulais plus le revoir, tant qu’il ne se serait pas débarrassé d’elle. Il n’a ni élevé la voix ni protesté. Il m’a simplement déclaré qu’il était bien aise de m’avoir pour fils et il est parti.

Cet homme avait reçu l’ordre des insurgés de prendre les armes pour chasser les Américains infidèles de la région. Mais une Américaine avait sauvé sa femme d’une mort en couches certaine. Une femme soldat qui était restée avec sa femme dans leur maison pendant plus de vingt-quatre heures pendant qu’elle accouchait. Sans cette femme, il n’aurait pas eu de famille. Son enfant et sa femme seraient morts. C’était il y a trois ans, et l’homme n’avait jamais oublié.
En apparence, il obéissait, mais il savait pertinemment que tous les Américains n’étaient pas mauvais.

La plupart des gens n’y auraient pas prêté attention, mais il savait que ce n’était sans doute pas facile pour elle de formuler ce qu’elle voulait. La plupart des femmes qu’il connaissait pour avoir été violées et battues n’avaient pas osé regarder dans les yeux les membres de son équipe pendant leur sauvetage ou leur transport dans un endroit sûr. Elles s’étaient montrées timides et terrifiées. Chloé, elle, avait trouvé la force de plonger son regard dans le sien et apprenait à exprimer honnêtement ses envies. Elle ne cessait de l’intriguer et de l’impressionner.