Qui connaît Joseph Daul, Pervenche Berès, Arnaud Danjean ou Michel Dantin ? Quasiment inconnus du grand public, à la différence de leurs collègues Rachida Dati, Harlem Désir ou Brice Hortefeux qui brillent pourtant par leur absentéisme voire de ceux qui, comme Jean-Luc Mélenchon ou Le Pen père et fille s’y font élire tout en prêchant leur hostilité aux valeurs qu’il incarne, il s’agit des eurodéputés français les plus actifs au Parlement européen. Sylvie Goulard est de ceux-là qui, inlassablement, défendent l’Europe.
Son dernier livre en date constitue pourtant une charge en règle contre l’Europe telle qu’elle fonctionne aujourd’hui. Dans son collimateur la méthode intergouvernementale qui, depuis Lisbonne, gagne du terrain au détriment de la méthode communautaire, trahissant ainsi l’idéal des Pères fondateurs. L’Europe en effet s’est construite sur le projet d’une union sans cesse plus étroite des Européens et non sur celui d’une banale coalition d’Etats. Le traité de Lisbonne et l’application qui en est faite méconnaissent cet héritage en faisant du Conseil européen l’institution faîtière de l’Union.
Sylvie Goulard n’a pas de mots assez durs pour dénoncer cette dérive qui voit le Conseil européen, et donc les gouvernements nationaux, décider de tout durant de répétitifs « sommets de la dernière chance » dont la dramaturgie inutile ne trompe plus personne. Elle voit planer le spectre de la tyrannie dans l’irresponsabilité de cette instance qui ne rend de compte à personne. Les chefs d’Etats prétendent agir pour le bien commun ? Ils répondent en vérité – et c’est logique – à des motivations purement nationales. C’est ainsi qu’il faut comprendre le titre de son essai : en prétendant unir ce qu’ils désunissent, les Etats nationaux vantent l’amour mais font chambre à part.
A rebours de la méthode intergouvernementale, Sylvie Goulard instruit le procès en réhabilitation de la Communauté, un beau mot qui a hélas disparu du vocabulaire européen. Si le mot fédéralisme effraie certains – l’auteur, qui cite avec humour le cas de la Bavière, soutient pourtant que la participation à une fédération ne fait pas disparaître l’identité de ses membres – Sylvie Goulard propose de lui substituer celui, plus consensuel, de « République européenne ».
A l’heure de la mondialisation, les Etats sont menacés d’insignifiance. La France, en particulier, vit toujours dans l’illusion gaulliste de pouvoir imprimer sa marque aux affaires du monde. Elle imagine, à tort, que l’Europe sera pour elle un amplificateur de puissance. Ses élites nourrissent cette chimère, qui affichent un euroscepticisme décomplexé par peur de perdre leur statut privilégié. Ainsi s’explique le mépris dans laquelle elle tient le Parlement européen alors qu’il s’agit du creuset de la démocratie continentale.
L’eurodéputée se livre à un plaidoyer pro domo particulièrement convaincant. Elle estime que Paris considère l’institution strasbourgeoise comme une « poubelle », où elle relègue les ministres sans portefeuille et les recalés du suffrage universel direct, voire comme un « paillasson » qu’elle foule au pied, lui déniant les attributions constitutives d’une assemblée parlementaire digne de ce nom (le droit d’initiative législative, le pouvoir budgétaire, le contrôle du Conseil européen). Or, la France sous-estime l’attachement de ses partenaires à la démocratie parlementaire. Qu’il s’agisse de l’Allemagne comme du Royaume-Uni, le Parlement y est le véritable lieu de pouvoir, duquel procède la légitimité populaire. Du coup, ces Etats envoient à Strasbourg des élus plus assidus, plus outillés et au final plus efficaces.
Le livre de Sylvie Goulard procède d’une saine colère. Il ne s’agit pas d’une énième dénonciation du supranationalisme européen comme la campagne des élections européennes de juin 2014 donnera hélas l’occasion d’en entendre, mais d’une invitation à retrouver l’héritage des Pères fondateurs et à restaurer l’influence des institutions communautaires contre les égoïsmes nationaux.
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L’essai de Sylvie Goulard a été un succès de librairie à la rentrée 2004. Cette Européenne convaincue, qui trace sa carrière entre la haute administration dont elle est issue (ancienne élève de l’ENA, elle a travaillé au Quai d’Orsay, au Conseil d’Etat et à la Commission européenne) et l’Université (elle enseigne aujourd’hui à Sciences Po et au collège de Bruges), a trouvé son public en publiant un pamphlet passionné sur l’Europe et les dangers que présente pour elle l’adhésion de la Turquie.
Ce petit ouvrage était clairement écrit dans la perspective du Conseil européen de décembre 2004 qui allait se prononcer sur l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie. On sait aujourd’hui qu’il est resté sourd au plaidoyer de Sylvie Goulard. Pour autant, ce texte préfacé par Robert Badinter n’a rien perdu de son actualité.
Sylvie Goulard parle bien sûr de la Turquie. Comme d’autres avant elle, elle pointe les faiblesses de la candidature turque. Elle invoque tour à tour l’histoire et la géographie pour mettre en doute le caractère européen de la Turquie. Elle dénonce le retard économique de ce pays. Elle pointe du doigt ses réticences à reconnaître le génocide arménien et ses relations conflictuelles avec Chypre. Elle insiste sur la laïcité « ambiguë » de la Turquie et le statut inégalitaire réservé aux femmes.
Mais, ce qui fait l’originalité de sa démarche est de « replacer l’Union européenne au cœur de notre réflexion » (p. 24). Dans cette perspective, la question est moins d’évaluer les atouts et les handicaps de l’impétrant turc que d’apprécier la capacité de l’Europe à l’accueillir. Cette dimension, rappelle-t-elle, figure dans les critères de Copenhague dont on fait souvent, dit-elle, une citation tronquée : il ne suffit pas que l’Etat candidat soit démocratique et que son économie soit viable, il faut également que l’Union soit capable de l’assimiler.
Or rien n’est moins sûr. Comme l’a d’ailleurs reconnu la Commission dans son avis du 6 octobre 2004, en raison de « sa taille, de sa population, de sa localisation géographique, de son potentiel économique, militaire, ainsi que de ses caractéristiques culturelles et religieuses », l’adhésion de la Turquie sonnerait le glas de l’Europe telle que nous la connaissons. En 2020, la Turquie sera le pays le plus peuplé de l’Union avec 85 millions d’habitants. A ce titre, elle pourra légitimement prétendre au nombre de voix le plus élevé au Conseil et à la plus forte représentation au Parlement. Son retard économique fera peser sur le budget de l’Union une pression insupportable. Sa mitoyenneté avec l’Irak, la Syrie ou l’Arménie poserait à la politique étrangère européenne des dilemmes insolubles. « Good bye Monet » conclut Sylvie Goulard (p. 63), cédant à un lyrisme facile.
A trop se focaliser sur la Turquie, et sur les inconvénients que représentent pour elle son exclusion durable de la construction européenne, on oublie les enjeux de la construction européenne. Or, il est indéniable que l’élargissement de l’Union lui a fait office de programme ces dernières années. Elargissement aux pays neutres de l’AELE en 1995, élargissement aux PECO en 2004. Si, au début des années 70, Pompidou faisait rimer élargissement et approfondissement, « les deux processus (…) qui devaient être menés simultanément, ont divergé » (p. 41). Il est inutile de répéter que l’Union fonctionne aujourd’hui sur la base des mêmes principes que ceux qui avaient prévalu, à Six, en 1957. Malgré les mises en garde ou les menaces, notamment de la France, l’Union n’a pas réussi à se réformer à Amsterdam ou à Nice pour fonctionner avec vingt-cinq et bientôt vingt-huit membres.
Sans doute ces élargissements successifs sont-ils la preuve du succès de l’Union. Si elle exerce une telle force d’attraction sur son voisinage, c’est incontestablement qu’elle est parvenue à assurer à ses membres la paix et la prospérité. Pour autant, le temps est venu de poser les limites de ce mouvement. Car l’Europe n’est pas extensible à l’infini, ni géographiquement, ni culturellement. L’Europe, ce n’est pas seulement les droits de l’homme et l’économie de marché – sans quoi le Chili ou le Japon serait légitimes à l’intégrer. C’est aussi une histoire, une géographie, une culture commune ; c’est aussi une manière commune d’être ensemble.
Le double non français et néerlandais aura peut-être eu le paradoxal avantage de permettre de relancer ce débat. Que ce soit en France ou aux Pays-Bas, les partisans du Non ont parfois donné l’impression de refuser un élargissement à vingt-cinq sur lequel ils n’avaient pas été consultés et de condamner par avance l’adhésion de la Turquie, malgré toutes les précautions prises pour déconnecter cette question de la ratification du Traité constitutionnel. Si le 17 décembre 2004, les chefs d’Etat et de gouvernement semblaient avoir enclenché un processus inéluctable, les 29 mai et 1er juin 2005, les électeurs français et néerlandais ont peut-être rouvert la question turque.
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Cet essai est paru à la veille du referendum britannique portant sur le brexit, à l’été 2016. Dans un premier temps, l’auteur blâme l’ambition du premier David Cameron de négocier des conditions particulières au sein de l’UE, dans le non-respect des traités et au détriment de l’harmonisation.
Dans la deuxième partie, l’essayiste porte un regard critique sur les travers récents du vivre ensemble dans l’EU, notamment le regrettable retour du nationalisme, ou alors l’action du conseil européen, autrement dit les sommets successifs. Dans ce contexte, les chefs d’état décident sans débat, en générant un déficit démocratique (p100).
A mon sens, l’auteur, députée européenne, ne va pas assez loin dans sa critique – une impression de tiédeur.
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Un ouvrage simple et complet pour s'initier aux questions européennes, rédigé par une des meilleures spécialistes françaises. Le texte est engagé et s'assume comme tel, ce qui en fait un essai en plus d'un guide.
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Un livre mordant sur l’Europe écrit par une pro-européenne chevronnée. Le point de vue offert par Sylvie Goulard est rafraîchissant car il permet de sortir du pour ou contre l’UE au profit d’une vraie réflexion sur comment faire pour améliorer les choses. Au final, on a l’impression que nos dirigeants nationaux sont assez légers sur la question de l’élargissement et ne tirent pas les conséquences de leur décision. Surtout ils ne mettent pas sur la table le débat que cela devrait susciter, non pas pour dire oui ou non à l’adhésion d’un pays mais comment on fait pour prendre des décisions à 35 ou 36 pays alors que l’UE n’est pas (encore) une république.
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