— Je crois que la missive vient du palais. Regarde, elle porte le sceau royal.
J’ai décacheté l’enveloppe et j’ai découvert à l’intérieur une invitation très surprenante.
— Alors? a demandé Margot avec impatience. Elle t’a été envoyée par celui qui faisait briller tes yeux hier soir ?
— Non, par le prince.
— Oh, tu lui as parlé ? s’est-elle exclamée, curieuse.
— Pas du tout. Je l’ai à peine vu. Il m’invite à le rejoindre pour le thé avec quelques amis... Tiens, regarde.
Elle a lu mon invitation et s’est mise à trépigner de bonheur. Quant à moi, je me demandais bien ce que ce prince me voulait.
— Celui qui t’a rendue si heureuse au bal ne serait-il pas ami avec le prince ? aurait-il le pouvoir de te faire inviter au palais pour te revoir ?
— Je ne sais pas, Margot. Mais... j’irai et je verrai bien. (…)
Les questions se bousculaient dans ma tête : est-ce qu’Henri jouissait d’assez de pouvoir au palais pour me faire inviter ? Ces thés devaient n’être réservés qu’à quelques personnes triées sur le volet...
Je ne connaissais même pas le nom de famille de mon cavalier, pas plus que le rôle de son père à la cour. Henri m’avait seulement dit que ce dernier vivait au palais. J’aurais pu me montrer un peu plus curieuse.
Depuis la séparation de mes parents, tous les matins je fais une identification visuelle, suivie d’une autre, auditive, pour savoir où je suis. En fait, c’est qu’un jour je me suis levée et j’ai foncé droit dans le mur. Je me pensais chez ma mère et j’étais trop chez mon père. Il faut dire que le matin, c’est long avant que mon cerveau reprenne sa forme normale. Pendant la nuit, on dirait qu’il s’écrapoutit (encore un mot qui n’existe sans doute pas) et au réveil, il doit reprendre son volume. Avant, je suis comme juste pas encore réveillée. Une moule dormeuse. Faut pas me poser de question, la réponse sera inévitablement : « Rheû ?
Une question me hantait : qu’est-ce que la réalité,
justement ? J’avais l’étrange impression de nager entre
deux eaux, un peu confuse. toujours légèrement en
décalage par rapport aux autres, comme si je n’étais
pas revenue entière et que des particules étaient restées coincées dans l’air entre les deux mondes.
Comment distinguer le vrai du faux ? Qui pouvait
m’assurer que la réalité était conforme à ce que je vivais et qu’elle ne se trouvait pas dans un univers parallèle ?
Je devais quitter la maison et me mêler à la foule. Plus il y aurait de monde, moins je représenterais une proie facile. L’évêque a proposé d’aller porter les effets personnels d’Henri à la caserne de la garde royale, là où on l’avait amené. Je lui ai tout donné, sauf le sac de cuir qui contenait les documents les plus importants.
J’ai fini par manger mes macaronis collants et tièdes. Le chien grignotait un gros biscuit. Je n’avais rien trouvé à la télévision et à force de jouer avec la télécommande, j’ai arrêté mon choix sur Météomédia.
L’allée centrale nous séparait. D’un bord, Charlotte et moi, et de l’autre, Anaïs à côté d’un inconnu très discret. Les filles parlaient de la soirée de la veille. C’est vrai qu’elle était mémorable. On s’était réunies dans la chambre géante de Charlotte, avec Coralie et Éva. On avait dansé, chanté à tue-tête sur le karaoké, une vraie soirée de filles.
Je ne les écoutais pas vraiment, car je me repassais les images de l’après-midi de rêve qu’Alexandre avait organisé.
C’était un début de journée normal au camp, et le petit-déjeuner n’était pas encore servi lorsque nous avons entendu les premiers bruits venant de l’extérieur. Un des nôtres a sonné l’alerte pour nous avertir que nous étions attaqués. J’ai abandonné le panier que je tenais afin de suivre mes compagnons, qui sortaient pour voir ce qui se passait.
Les pirates et leur chef, le Dragon des mers, en traient dans la cour en hurlant, déferlant sur nous comme un tsunami. Même si nous avions été préparés à affronter ce genre de situation, nos ennemis étaient trop nombreux et la surprise nous faisait perdre nos moyens.
nos adversaires disposaient de pistolets alors que les nôtres se défendaient avec des piques et des bâtons. Les plus aguerris, mieux entraînés, faisaient appel à leur maîtrise des arts martiaux.
sans avoir prononcé un mot, d’un seul regard au-dessus de la mêlée, Henri m’a ordonné de partir sans plus attendre. J’ai compris à son léger mouvement de tête qu’il me promettait de me rejoindre.
Je me suis dirigée vers la porte camouflée derrière le grand chêne. C’était un passage secret dont notre chef m’avait révélé l’existence. sur le chemin, j’ai découvert Mireille recroquevillée sous un arbre. Je lui ai pris le poignet et je l’ai forcée à me suivre. il n’était pas question d’abandonner ici cette petite servante du palais que j’avais prise sous mon aile.
J’ai inséré la clé dans la porte, qui s’est ouverte aussitôt. Le chemin conduisait à l’arrière de la grange. Je n’ai pas réfléchi longtemps avant de m’élancer vers la forêt. nous avions entendu un homme crier au loin : « ne la laissez pas filer, rattrapez-la ! » Depuis, nos ennemis nous talonnaient.
Je tenais la main tremblante de Mireille pour l’aider à courir à travers les bois sans tomber. nous étions poursuivies depuis combien de temps ? Un point de côté me faisait me plier en deux et mes poumons brûlaient à chaque respiration. La petite trébuchait, pleurnichait, mais avançait toujours.
Le seul endroit où nous pouvions nous réfugier était le domaine Boisbriand où s’étaient installés le baron de Vimy et le prince à trois kilomètres du camp. Armand comprendrait vite que nous étions en danger et il nous mettrait à l’abri.
— Tiens bon, Mireille. On y est presque.
Lorsque nous sommes arrivées devant le portail du domaine, nous avons tenté d’ouvrir la grille, mais elle était verrouillée. J’ai tiré la cloche, en vain, et secoué la clôture avec toutes les forces qu’il me restait. Rien ne bougeait à l’intérieur. La maison était vide.
ses occupants étaient-ils partis sans nous prévenir ? À moins qu’ils n’aient senti le danger, eux aussi.
Je suis allé m'asseoir en face de mon mari. Il a baissé son journal, m'a souri.
- Bonjour, princesse.
- Bonjour, mon prince, ai-je répondu en mordant dans mon croissant.
L’oncle de la jeune femme comptait parmi nos alliés. Il nous avait mariés simplement dans sa petite église. Il avait aussi aidé Henri à retrouver le prieuré des théodoriciens. Ayant souvent été témoin des injustices commises en Guadeloupe, il désirait y apporter des changements. La peur que faisait régner le maréchal de Lévis était palpable.
Louis-Philippe avait intégré l’équipage du navire qui nous avait transportés jusqu’ici. Nous avions découvert qu’il était comte et tentait de fuir les Mineurs, dont il portait le tatouage de queue de rat au poignet. Il s’était lancé à la recherche de sa fiancée perdue, Adeline, la sœur de Mireille. Le maréchal la gardait prisonnière et nous devions la sortir de ses griffes avant qu’il l’envoie dans un autre pays où nous ne pourrions plus la retrouver.
Quant à Georgina, la jeune métisse qui était venue de son plein gré aux baraquements, elle avait risqué sa vie pour moi. Il fallait que je découvre ce qui lui était arrivé. Je ne pouvais pas l’abandonner aux mains des horribles hommes qui travaillaient pour le maréchal.
C’était sans compter le baron aux bajoues de gélatine, un être ignoble qui m’avait ajoutée à son contrat de vente d’armes. Il voulait m’épouser et m’emmener en Europe. J’ai frissonné au souvenir de la barque qui m’emportait vers le bateau.
J’ai partagé mes pensées avec mes amis concernant le baron de Brunswick et le maréchal de Lévis.
— Ils doivent être à ma recherche, ai-je affirmé.
— Le bateau a quitté l’anse peu après ton évasion, m’a appris Pyo. Je ne peux pas te dire ce qui s’est passé entre les deux hommes par la suite, mais je peux t’assurer que le baron est en route pour l’Europe.
— À moins qu’ils n’imaginent que tu t’es noyée, a proposé Louis-Philippe.
— Ils ont pu nous voir sur la plage, a répondu Pyo. Je préfère considérer qu’ils savent qu’elle est en vie.
— Aucune nouvelle de Georgina ? ai-je demandé.
— Rien pour l’instant, a commencé l’évêque. Mais j’ai envoyé des gens de confiance s’en informer. — Vous avez découvert que je me rendrais à la plage grâce au mot laissé par Adeline sur la clôture ?
— Oui, m’a confirmé Pyo.
— Tu es certain que personne ne vous en a parlé ?
— Non. Mais quelqu’un se doutait que nous allions intervenir puisqu’il ne restait plus de voiture à louer et que nous ne trouvions aucun moyen de sortir de l’hôtel.
Il fallait essayer de comprendre le déroulement des événements. C’était très difficile dans mon état et j’essayais en vain de me concentrer.
— Et vous, comtesse, dites-nous ce qui s’est passé avant que vous arriviez sur cette plage, a demandé l’évêque.
En plus, c’était une jeune femme aimée de tous. Elle avait le don de nous faire sentir bien à ses côtés. Elle avait épousé notre grand patron, Adrien Weber, et nous étions heureux de voir ce bonheur s’épanouir devant nos yeux. C’était une sorte de rêve, une forme d’espoir aussi: celui que l’amour existe et qu’on peut y croire.