Sylvie Teper

Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Parce qu’on me harcelait pour connaître la suite du premier tome de la légende de Jean l’Effrayé 🙂

Comment vous en est venue l’idée ?
je venais de terminer cinq récits médiévaux pour une ville bourguignonne, quand on m’a demandé d’écrire la légende de messire Jean l’Effrayé, personnage qui a donné son nom à une ruelle d’un village de l’Oise, mais dont il ne subsiste aucune trace dans les archives départementales ou régionales. J’avais donc carte blanche dans une époque que j’affectionne : le moyen âge. Protestatio est le deuxième tome de la trilogie.

Jacques, lui, s’efforce de trouver le lieu de repos conseillé par l’officier à l’entrée de la ville. Et bientôt, il remarque sur sa droite un enfant se soulager contre la façade d’un imposant bâtiment. Il lève la tête, découvre l’insigne recherché et pousse un soupir de soulagement.
— L’Hospice des Bonshommes, dit-il à Raoul. On s’arrête ici. Les frères de la Charité Notre-Dame, vois-tu, reçoivent aussi les voyageurs fatigués comme nous, leur offrent du pain et une paillasse pour la nuit. Content ?

— De terribles rumeurs, d’horribles légendes nous ont précédés… et les gens craignent ce qu’ils ne connaissent pas. Accepte cela, s’il te plaît.
Comme tout le long de leur marche, cette réponse suscite immédiatement chez Raoul une autre question qu’il n’aura pas le temps de poser : une femme le bouscule violemment. Des mots de colère occitans lui échappent. La femme se retourne, le dévisage, puis essaie vite de se faufiler entre les gens et les bêtes, mais l’étroitesse du pont lui complique la tâche.
— Laissez passer ! Laissez-moi passer… c’est urgent ! crie-t-elle.

Jacques progresse lentement dans la file d’attente et cette immobilité forcée le rend nerveux. Soudain, il se met à chercher parmi les pèlerins, sous les bœufs, sur les charrettes, le moindre signe de danger, de menace. Tout paraît normal. Alors, il se laisse aller à écouter les rumeurs, les ragots colportés à propos du nouveau roi de France, Philippe VI de Valois. Il se demande si son accession au trône sera une bonne chose pour lui et le petit Raoul, son neveu, qui l’accompagne depuis plus d’un mois, sans trop se plaindre.

— Ne traîne pas ! Tu pourrais te perdre.
À contrecœur, mais docile, Raoul retourne dans la file avec son oncle. Si le vent s’amuse dans ses cheveux bruns mi-longs séparés en deux par une raie droite, lui ne s’amuse plus : il ne voit rien dans cette masse compacte de grandes personnes. Alors, il détourne encore la tête vers la rivière, se hisse sur la pointe des pieds. Y a-t-il là, des poissons, des écrevisses ?
— Marche, Raoul ! Regarde devant toi. C’est dangereux ici. Tu comprends ?

En contre-haut de cet étroit sentier, assis sur une souche toute moussue, Jean l’Effrayé, gaillard de vingt-sept ans, observe le dos de la grand-mère, dont l’esprit semble s’être envolé. Il s’étonne de cette présence solitaire et sereine dans une forêt infestée de loups. Lui-même tient une pique, au cas où. Pas elle. Que fait-elle donc ? Où va-t-elle ? Elle ne ramasse ni ne cueille quoi que ce soit. Est-elle, comme lui, rejetée par le reste du village ?

il progresse lentement, vu que Marc observe et commente chaque cheval, et que les deux garçons traînent, voulant ici se mesurer aux jeux d’adresse ou de force ; là, s’initier au jeu de paume. Thomas s’énerve, exige que Marc oublie les animaux et l’aide plutôt à pousser, à tirer les adolescents vers l’avant, afin qu’ils puissent quitter au plus vite ce lieu. En fait, il craint surtout le vol de ses livres : objets précieux, rares, aisément monnayables.

— Marche, Raoul ! Regarde devant toi. C’est dangereux ici. Tu comprends ?
Non, Raoul ne comprend pas : si c’est dangereux, pourquoi sont-ils venus ? Pourquoi ont-ils quitté leur bastide pour remonter vers le nord de la France ? Pourquoi maman Doumenge a-t-elle prié pour lui, murmuré quelques mots étranges dans son oreille avant de l’embrasser si fort ?
— Les villes se méfient des étrangers. Donne-moi la main, murmure Jacques en se courbant vers l’enfant.

Alors rien ne le ralentira, ni les protestations de ses compagnons ni la profusion tentante de marchandises en tous genres, à portée de main. Il continue même à forcer le pas, malgré sa fatigue. Marc le talonne, et les jeunes boudent de se faire ainsi presser : depuis leur débarquement à Calais, il y a deux semaines, ils passent la journée à marcher. Donc, ils estiment s’être mérité le droit de profiter un peu de cette fête.

Panier d’osier à la main, une petite vieille en robe noire chemine entre les chênes et châtaigniers de la côte boisée. Au passage, elle caresse la tête des fougères, comme d’autres, celle des enfants. Puis s’arrête le temps de confier quelques mots à un tronc. Dans un battement d’ailes, une corneille s’envole. Elle la suit des yeux, la salue, reprend son pas sur la sente qui, bientôt, pénètre et se perd dans une fougeraie.