En contre-haut de cet étroit sentier, assis sur une souche toute moussue, Jean l’Effrayé, gaillard de vingt-sept ans, observe le dos de la grand-mère, dont l’esprit semble s’être envolé. Il s’étonne de cette présence solitaire et sereine dans une forêt infestée de loups. Lui-même tient une pique, au cas où. Pas elle. Que fait-elle donc ? Où va-t-elle ? Elle ne ramasse ni ne cueille quoi que ce soit. Est-elle, comme lui, rejetée par le reste du village ?
Panier d’osier à la main, une petite vieille en robe noire chemine entre les chênes et châtaigniers de la côte boisée. Au passage, elle caresse la tête des fougères, comme d’autres, celle des enfants. Puis s’arrête le temps de confier quelques mots à un tronc. Dans un battement d’ailes, une corneille s’envole. Elle la suit des yeux, la salue, reprend son pas sur la sente qui, bientôt, pénètre et se perd dans une fougeraie.
Émeline n’essaie même plus de la raisonner ou de lui faire payer son droit d’usage : Marie est une personne de caractère et de convictions. Émeline se contente de l’accompagner pour faire le guet, dans ce bois où elle n’aime pas venir, surtout depuis les deux « disparitions » ou peut-être… les deux meurtres. À cette seule pensée, elle frissonne, parcourt vite des yeux ce qui l’environne. Aucune menace imminente, mais…
— Emeline, tu vas finir par nous porter malheur, avec ta peur, lance Marie en lui montrant ses prises.
— Tu crois qu’ils vont recommencer ?
Marie pose son panier, garni de deux lapins morts, qu’elle recouvre sur l’instant d’un linge, puis se redresse, crispe les poings, se fâche.
— Arreste de penser à ça, ou tu vas perdre la teste comme la vieille…
Dans la forêt nobiliaire du seigneur Jean de Clermont, inquiète, Émeline, jeune femme aux formes généreuses, tenant le bas de sa robe à la main, est déjà prête à s’enfuir. Cependant, elle reste sur place, guette l’arrivée éventuelle du garde, afin de prévenir à temps sa belle-sœur Marie, occupée à ramasser les mûres déjà bien noires, en cette fin août.