Elle sent les mots coller à elle comme du goudron.
Elle a appris à voir sans regarder, à rester impassible.
Pas de larmes.
Elle sait reconnaître l'attitude de celui qui s'approche et qui va mordre.
Les yeux qui brillent un peu.
L'air détaché et content de soi.
On lui a dit gogol, on lui a dit tu fais pitié, on lui a dit pupute en rigolant.
On a fait des bruits de bouche quand elle passait dans le couloir, on a collé un chewing-gum dans ses cheveux (oh, pardon - rires sous cape).
On a fait semblant de lui donner un coup de poing en s'arrêtant à quelques centimètres de son front, pour voir son visage se tordre, le petit cri sortir de sa gorge.
On a fait pareil avec la pointe d'un compas, à côté de son oeil.
Trouver le rythme…
Trouver le rythme
le ressac de grandir
être embrun
Revenir
Revenir
Toujours charrier d’autres mondes.
p.30
Grandir vers le bas, vers l'invisible.
S'enfoncer dans la terre.
Lui donner son poids.
Lui transmettre sa force.
Sentir monter les séismes profonds
les ruptures de failles.
Laisser se propager les ondes.
Grandir dans la chute
à l’instant
où plus rien ne tient
où la gravité opère
le mouvement de tomber évase quelque chose
qui ne se replie plus.
Être déjà grand
avant que personne ne le sache.
Attendre que ça se voie.
Regarder
la peau du soleil vibrer.
Écouter ses pulsations. Son bourdonnement.
Sa danse.
Regarder.
C’est avant de naître…
C’est avant de naître
qu’une étoile est la plus brillante.
Peut-être cent fois plus brillante
qu’après la naissance.
Elle bat – comme un corps –
se comprime, se dilate
elle convulse
se contracte
jusqu’à devenir si petite
si chaude
si petite
si dense
si petite
qu’elle naît.
p.27
Je dis "tu" pour la première fois.
Et je me demande :
à partir de quand sommes-nous deux
dans ce corps ?
Se déplier…
Se déplier, s’élancer
– grandir, c’est de la danse –
projeter son corps
dans toutes les directions
être là – vraiment
le regard là
avec les éléments
être au monde
p.28
Évidemment, ça a tout changé…
Évidemment, ça a tout changé.
L’écho. La perspective.
Ce texte, tu viens l’habiter.
À peine tu arrives et tu bouleverses déjà tout.
Tyran magnifique.
p.12