Pierre le Cruel se conduit de plus en plus en tyran au sens détestable que lui donne le Moyen Âge, féru du Policraticus de Jean de Salisbury. Composé vers 1159 par ce secrétaire de Thomas Becket, fameux archevêque de Canterbury à qui sa longue opposition politique au roi d'Angleterre Henri II Plantagenêt avait fini par coûter la vie, en 1170, ce chef-d'œuvre de la philosophie politique médiévale décrit et dénonce le pouvoir tyrannique des souverains régnant par la contrainte et ouvre même la voie aux conditions de leur élimination physique : le Policraticus fonde ainsi toute l'intense réflexion du Moyen Âge occidental sur le tyrannicide. Certes, cédant sans doute à la même tendance de recul des idées démocratiques qui marque, en Occident, à la fin du XIIIe siècle et la première moitié du siècle suivant, la Monarchie castillane en pleine consolidation, sous le règne d'Alphonse XI (1312-1350), s'était dotée des moyens intellectuels de faire contre-feu à la doctrine de résistance au prince, notamment en déduisant du De regimine principum de Gilles de Rome, penseur tout aussi prestigieux mais plus récent, les principes contraires de l'inviolabilité du roi et de sa légitimité héréditaire. Mais, foncièrement, c'est à la construction de l'État moderne, tel que l'incarnait Alphonse XI, qu'oeuvre un tel renforcement de la pensée monarchiste, non pas à la justification de l'action autoritaire, violente et arbitraire d'un Pierre Ier de Castille. Au moment où s'ouvre le conflit armé auquel sera associé Du Guesclin, cela fait déjà bien longtemps que la réputation d'injustice de Pierre a mis à mal sa légitimité et préparé les justifications théoriques de sa déposition, qui font leur miel de toutes les réflexions récentes sur le "bien commun", le bon gouvernement et le tyrannicide. À cette justification théorique, Pedro Lopez de Ayala apportera d'ailleurs la contribution la plus éminente et la plus neuve, dans les lignes de son Libro rimado del Palacio, inspiré de Gilles de Rome et composé au plus fort de la lutte [...].
Bertrand pénètre par la porte Saint-Antoine, que protégera bientôt la bastille ordonnée trois ans plus tôt par Charles V et encore au stade de ses premières pierres, dont la Révolution française assurera l'universelle célébrité.
Siméon Luce paraît très crédible dans ses hypothèses, notamment lorsqu'il leur adjoint l'analyse des plus pertinentes d'un réseau de fidélités et de protections dans lequel le jeune Bertrand dut assez tôt se mouvoir. Un réseau qui comprendrait le maréchal [Arnoul] d'Audrehem, dès l'année 1354, alors lieutenant du roi en Normandie, puis, rapidement, Pierre de Villiers, capitaine de Pontorson qui compta Bertrand Du Guesclin sous ses ordres et le prit sous son aile, le recommandant pour lui succéder au moment de sa propre désignation comme chevalier du guet de la ville de Paris, fin 1357, comme le montre une lettre du 6 décembre par laquelle il se dessaisit d'un don viager de 200 francs au profit du futur connétable en récompense de sa bravoure lors du siège de Rennes. Enfin et surtout, le roi lui-même et sans doute, comme le répète avec insistance Raymond Cazelles, Jean le Bon plus et plus tôt que Charles V.
Voilà qui nous incite à ne pas rejeter trop à la légère le témoignage des biographies du temps, fussent-elles embellies à la louange de leur héros et selon les canons du genre.