- Tout est musique, Molly. Le vent dans les arbres, le souffle de l'air qui glisse sur l'eau, les cris des animaux, les branches qui bruissent, le sable qui crisse sous nos pieds. Si vous tendez bien l'oreille, vous n'entendrez pas simplement des bruits en vrac, mais une suite de notes, une partition brute et sauvage, une véritable symphonie. J'aimerais savoir jouer la musique de la nuit à la guitare.
Et c'est vrai qu'ici, la nuit avait un son particulier. Un bosquet touffu remua dans un froissement bruyant. Molly s'accrocha au bras de Leonard.
- J'espère qu'il n'y a que des sons inoffensifs ici, Leonard.
- La nature n'est jamais mauvaise, Molly, il n'y a que celle de l'homme qui l' est.
- Haha ! Mais c'est ça le blues, miss Molly ! De l'alcool, du sexe et de la souffrance ! Une musique sale pour exorciser tous les maux ! C'est un chant libérateur ! On s'affranchit de nos douleurs, de nos peines, de nos désespoirs, de nos frustrations, de nos désirs. On les hurle, on les lâche dans la nature, on les expire! IIs nous inspirent ! IIs nous maintiennent en vie !
Elle était belle avec ses nouvelles lunettes. De grandes lunettes immenses, celles à la mode en ce moment, de forme arrondie et rétro, avec une monture épaisse et sombre. Cela donnait un peu de sérieux à son visage d’enfant. On lui avait souvent reproché cet air immature même si elle n’y était pour rien. Le temps ne semblait pas avoir d’emprise sur elle. À bientôt trente ans, elle en paraissait à peine vingt-cinq. Ses cheveux courts, tel un écrin de velours blond, se posaient doucement autour de son visage aux formes rondes et douces comme une gourmandise de confiseur.
C’est sa vie. C’est leur vie. Nous sommes les uniques propriétaires de nos destins. C’est son choix, c’est un choix difficile, douloureux, pour vous et pour elle aussi sûrement. Mais elle l’a fait. Elle ne vous appartient pas. Vous êtes des êtres libres. Affranchissez-vous. Prenez du recul. C’est la fin d’une histoire, le début d’autre chose. N’allez pas tout gâcher par des actes impulsifs, guidés par la colère. Tuer les gens, ça défoule un instant, puis après ça détruit tout.
Bientôt, il faudrait reprendre le cours normal des choses, continuer à dérouler méthodiquement le fil de la vie quotidienne, avancer, avancer, bravement, les manches retroussées. Vivre. Il y avait le boulot, les potes, la famille, Paris, les rêves, les projets, le passé, rien de bien folichon, il était bien loin des personnages qu’il incarnait à longueur d’année sur les planches ou à l’écran, non, il y avait simplement la vie, à dérouler coûte que coûte, vaille que vaille.
Ces dix jours dans les calanques lui avaient aussi permis de retrouver Myriam telle qu’il l’avait connue et dont il était tombé fou amoureux dix ans auparavant. Un joyau caché sous une couche de poussière grise qu’il avait suffi de laisser s’envoler sous les brises méditerranéennes pour qu’il retrouve tout son éclat.
La pugnacité est une de vos qualités que je préfère. J’avoue qu’elle m’a par ailleurs bien servi. Mais parfois, il faut savoir lâcher prise, prendre un peu de recul, pour avoir une vision d’ensemble, un panoramique, plutôt que de décortiquer chaque millimètre carré de l’écran avec une loupe d’entomologiste.
Il brûlait de vivre un amour fou, une carrière d’acteur au firmament, faites de succès denses et pérennes. Seulement, sa vie, ça n’était pas exactement ça, et il la jugeait avec un soupçon de déception qu’il maquillait par beaucoup d’emphase quand il la racontait.
Quand une jeune femme se retrouve face à un intrus dans sa maison, le réflexe premier est la fuite plutôt que le blocage des issues.
Un suspect n’est jamais plus utile qu’en liberté. C’est là qu’il se révèle et commet l’erreur qui le transformera en coupable.