Lors de la rentrée littéraire 2020, le romancier américain Charles Yu publie en France son deuxième roman, CHINATOWN, INTÉRIEUR, traduit par Aurélie Thiria-Meulemans.
Lors de cet entretien, il répond depuis Los Angeles, où il réside, à dix questions de son éditeur, David Meulemans (éditions Aux forges de Vulcain).
CHINATOWN, INTÉRIEUR est dans la sélection finale du Médicis étranger et dans la sélection finale du National Book Award.
Merci à Charles Yu pour sa générosité, son enthousiasme et son intelligence.
Merci aussi à Thomas Spok, Olivier Berenval et Nicolas Winter, qui ont proposé plusieurs de ces questions.
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Sa chevelure insoumise se rebiffait en boucles épaisses sur son front, si bien qu’il en repoussait à tout instant une mèche pour se libérer le regard. Deux larges prunelles passaient alors leur lame bleue alentour, et l’on s’étonnait de retrouver le monde intact après un tel coup d’œil.
Tu peux te battre encore, tu le dois. Ton épée s’est reforgée dans le sang, le tien et celui de tes ennemis : elle percera les ombres… elles font peur, mais il y a tant de façons de s’aveugler et de souffrir… Tu le sais, tu le sens. La chose, là-haut, est moindre qu’une bête, c’est une image du démon dans l’homme… c’est le dragon lové dans les amours, vautré dans les haines : une créature de barbarie, quand détruire paraît beau et qu’on se demande, tout à fait sérieusement, si la fin du monde ne ferait pas le plus magnifique des spectacles… cette tentation, tu la connais bien. Mais tu l’aimes quand même, l’humanité, avec effroi, avec passion ! Alors monte, taillade ce fragment du rien, tue le dragon !
Des danseurs lumineux s’agrippaient sur fond de nuit, s’agrippaient plutôt à la nuit qui leur offrait mille robes tournoyantes. À bien y regarder, le bal entrechoquait trop vigoureusement ses participants. Au lieu d’embrassades, les couples entremêlés échangeaient des coups – on s’entre-tuait, on s’envahissait d’une étincelle à l’autre sous les arcures et les entrelacs d’une couronne écumeuse. Des fragments de bataille ricochaient les uns contre les autres, restaient parfois unis de façon à esquisser un motif plus vaste.
Elle devine un front pur, des épaules nues… cette nymphe qui s’ébat, tendra-t-elle une main glacée pour l’entraîner vers des profondeurs secrètes ? Où est-ce l’illusion trompeuse d’une mort accueillante, comme l’enfant qui danse follement sur le rebord ?
- Sans garde ni pommeau, on s’y écorchera les paumes.
- Si un guerrier n’est pas prêt à verser son propre sang, que se mêle-t-il de verser celui des autres ?
La nuit d’hiver poussait sa bise nordique sur les eaux criblées de grêlons, où il fallait qu’une impudence inouïe eût jeté des hommes.
La mort est ennuyeuse, elle dure trop longtemps. […] La paix aussi est ennuyeuse, quand elle ressemble à la mort.