Les états d'âme qui lui semblaient étranges, accablants, passionnants, il les tenait pour des obsessions, des enchantements émanés du pouvoir mystérieux d'une personne... L'homme n'osait pas s'attribuer à lui même
tous les moments surprenants et forts de sa vie : il a imaginé qu'ils étaient passifs, qu'il les subissait et en était possédé... qu'une personnalité supérieure, une divinité se substituait à lui-même dans le cas donné... La religion est un cas d'altération de la personnalité, une sorte de sentiment de crainte cl de terreur devant soi même, mais en même temps une extraordinaire sensation de plénitude et de bonheur. »
N'hésitons pas à l'affirmer : tout système est une erreur. Erreur parce qu'il vise à l'absolu, alors que le relatif nous est seul accessible ; erreur parce qu'il évolue et se joue dans un monde de signes, de symboles et de mots, qu'il voudrait faire passer pour le seul monde réel ; erreur, même dans les vérités qu'il contient, par la déformation et le voisinage qu'il leur inflige ; erreur enfin, et sophisme d'orgueil, parce qu'il a la prétention d'expliquer le texte de l'univers sans s'être donné la peine de le déchiffrer.
Les plus grands philosophes furent d'enragés démolisseurs. Dès leur entrée en matière on les voit se ruer, pleins de fougue, contre les édifices établis. Ils font place nette. Après quoi ils rebâtissent sur nouveaux frais. Mais celle partie de leur tâche est généralement moins heureuse que la première, ce qui s'explique de reste par la mauvaise qualité des matériaux qu'ils mettent en oeuvre.