Citations de Valérie Fritsch (31)
Elle savait que lorsqu'on voyageait sur les traces du passé les routes en ligne droite n'existaient pas et seuls les crochets, les hasards et les directions contraires augmentaient la probabilité d'arriver à destination.
Mais elle savait bien qu'il n'existait pas de marques extérieures, aucun signe de culpabilité qui d'un seul coup révèle toute une biographie.
Vient un jour où les, années pendant lesquelles personne ne meurent sont terminées, où les enterrements ne sont plus us quelque chose de nouveau, mais font partie des devoirs réguliers de chaque adulte normal et de chaque enfant triste
Les deux femmes devinrent proches. Leurs rencontres étaient, pour l'une, des promenades dans sa mémoire, tandis que l'autre visitait le musée d'une vie en train de s'évanouir, invitée dans un esprit rempli d'histoires qui avaient pavé son chemin.
Quand elle dormait et que les globes de ses yeux se déplaçaient sous ses paupières frémissantes, il se penchait sur elle et il aurait aimé que son crâne soit transparent comme du verre pour pouvoir contempler son rêve.
Autrefois on écrivait : Hic sunt leones sur les cartes pour indiquer les territoires inconnus qu'il valait mieux éviter, et sur les cartes nautiques: Hic sunt dracones. De nos jours, on s'aventure partout sans rencontrer de lions ni de dragons. Ils ont tous disparu, tout comme les taches blanches qu'ils habitaient. De nos jours il faut voyager sur les traces de ce qui disparaît.
Que faisait-on des choses qui avaient disparu de la mémoire, mais qui existaient encore dans le monde, et que faisait-on des choses qui avaient disparu du monde mais qui continuaient à exister dans la mémoire ?
Dans ses conversations, elle répétait souvent qu'accorder la grâce à quelqu'un était une sollicitude non méritée, que les gens tristes possédaient souvent des chiens qu'ils aimaient secrètement, et les gens méchants aussi, et tandis qu'elle disait cela, ses mains reposaient sur les têtes grises des deux chiens de berger.
Les rêves ne se réalisent pas, mais tant que l’on dort, ils sont vrais.
Mon grand-père disait de la Terre qu'elle était la planète la plus solitaire d’entre toutes, parce que tout le monde s'y bat seul et que tout le monde meurt pour une chose pour laquelle il serait si bon de vivre.
Il advient quelque chose de dangereux dans l’amour, on lâche l’un contre l’autre la réalité et le mythe. Et pourtant. Si l’on ne craignait pas que quelque chose finissent dans les battements de coeur déréglés et les corps en émoi, pourquoi alors s’aimer ?
La mer, avec ses tempêtes et la nostalgie du lointain qu'elle plante dans le coeur et qui ne cesse d'attiser le désir de l'ailleurs m'a effrayée.
J'ai beaucoup voyagé dans ma vie, toujours dans le sillage des guerres, toujours le long des côtes. Savais-tu que le coeur d'une baleine bleue a la taille d'une petite voiture?
L'immobilité n'existe pas. On n'est jamais quelque chose ou quelqu'un suffisamment longtemps pour le rester. Les espoirs se muent en déceptions ou en expériences. Tout se transforme au fur et à mesure que l'on avance et au gré des années d'absence.
La nuit on craignait les bruits des rêves, et le matin on trouvait insupportable le silence du réveil.
Aimer est la seule façon convenable d'exister. Quand on commence à s'aimer, on ignore tout de l'amour, de la peur, du courage, du deuil, de l'inconditionnel, ou bien l'on sait tout sans pour autant comprendre l'amour, par ce qu'il est encore vierge de toutes les expériences qui lui succèdent.
Le père était un luthier de la troisième génération et chaque fois qu'il se promenait dans le forêt, il voyait dans chaque arbre un instrument susceptible d'être éveillé à la vie. Pour lui, dans chaque pin, dans chaque érable, sommeillaient les violons qu'il n'avait pas encore fabriqués ; il avait l'impression qu'ils étaient déjà là, logés dans leur tronc, et qu'il n'avait plus qu'à les sortir de leur berceau comme il l'avait fait autrefois avec ses enfants. Sous ses yeux, les arbres étaient pris dans une rivalités silencieuse.
Quand on est enfant, on attend souvent, et on attend beaucoup de la vie. Quand on est enfant, on a un temps indicible pour contempler le monde. On le parcourt à tâtons, éveillant les objets à la vie. Notre savoir ne sera jamais plus aussi étendu qu'à cet âge, et jamais plus on n'attendra autant de l'existence. Jamais plus on ne jettera un regard aussi dénué de vanité sur les choses qui nous entourent. Nos yeux sont des planètes dont la gravitation aspire les images de l'éther. Jamais plus les petites choses ne susciteront d'aussi grands espoirs.
Mais elle avait oublié ces moments où la peur n’était pas qu’une pensée, mais devenait physique. Quand elle vous blessait la peau de l’extérieur et vous éviscérait de l’intérieur. Quand on lui abandonnait son corps et qu’elle le reprogrammait en fonction de ses besoins.
Ils avaient les joues creuses, ils étaient sous-alimentés, et il formaient un ensemble organique, deux squelettes fondus l’un dans l’autre, cousus dans une seule peau qui recouvrait tant bien que mal les saillies et cavités des deux corps amaigris.