Citations de Valérie Jessica Laporte (43)
Conformité. Similarité. Oublier notre identité-base. On nous demande de tous aller dans la même direction pour le bien commun et, si on ne s’y plie pas, on est mauvais. C’est ce qu’on m’a appris. C’est ce qu’on m’a répété, encore et encore, et je n’ai jamais été d’accord. Même si je l’avais été, ça aurait été décevant parce que ça aurait fabriqué plein d’objectifs-échecs.
(Ch 14 : Transition vers un remaniement)
… on me dit que c’est mal et que je ressemble à une vraie folle. Je ne sais pas quelle serait la différence avec une apparence de fausse folle…
(Ch 3, L’idée)
La journée où on m’a retrouvée, la répulsion à l’idée qu’on envisagerait de me faire reculer dans la case d’avant, celle avec des mots, m’avait fait briser le pantin-moi. C’est un geste sans-le-faire-exprès-au-complet, comme lorsqu’on veut une chose inconsciemment et que la chose qu’on veut choisit un chemin secret du cerveau pour exister. Sentir qu’on m’arracherait le mot liberté que je venais tout juste de commencer à découvrir-goûter avait causé un embouteillage monstrueux dans les émotions qui fracassent.
Il ne pouvait pas dire ça, je ne suis pas un génie! J'ai plein de morceaux de moi qui ne fonctionnent pas. Est-ce que les oiseaux sont des génies parce qu'ils comprennent le vent? Ce sont des idiots, et parfois je me dis que c'est aussi mon cas.
P.82
Pourtant, cette nuit, j'avais fait table rase de cette identité brouillonne et mensongère. Le miroir me disait que j'étais un garçon. Un garçon, c'est fort. Il a nettoyé toutes les traces de sa métamorphose et j'ai fusionné avec lui. J'étais méconnaissable.
P.40
J’ai repensé aux mots, encore les mots. C’était plus facile avec le silence et je regrettais de les avoir libérés. Peut-être que j’étais allée trop rapidement et que je n’étais pas prête.
J’imagine que les gens font certains choix mécaniquement, sans y réfléchir, sans jamais les remettre en question, parce que d’autres avant eux faisaient pareil. Moi, je m’interroge sur tout, tout le temps. Je ne laisse pas les concepts exister sans y penser. C’est trop dangereux et, de toute manière, c’est trop laid.
Je ne m’arme jamais de patience parce que la patience n’est pas une action fâchée, contrairement à celle de s’armer, qui est pleine de méfiance.
La nature ne laisse pas souvent son chaos devenir laid, seulement de temps en temps, pour nous rappeler d’être reconnaissant envers le beau. C’est pour ça que j’aime être dehors. Ça fait moins mal aux informations.
Cependant, avec les mots libres, on peut. C’est une chose que je ne connaissais pas. C’est que je n’avais pas découvert le bon interlocuteur avant aujourd’hui.
Pourtant, la journée ne s’annonçait pas révélatrice de toute cette joie.
Les mots organisés sont choisis avec minutie, sans pression, comme on opte pour une couleur au lieu d’une autre, pour l’appliquer avec soin sur une zone de notre œuvre imperceptible aux normaux. Pour certaines personnes, il existe le bleu pâle, le bleu et le bleu foncé. D’ailleurs, certains ensembles de crayons se limitent à offrir un seul bleu.
Il est un peu étrange, parce que lorsque je lui donne cette permission, ça arrive fréquemment qu’il pleure un petit peu. Je ne sais pas pourquoi. Mon hypothèse la plus plausible, c’est qu’il est comme un enfant trop fatigué. Quand il peut enfin se reposer, ça le fait sangloter. Mais ce n’est qu’une hypothèse et je n’ai pas pu la valider.
Pourtant, lorsque trop d’incohérences s’agglomèrent au centre de tri des données, c’est souvent cette option que le corps choisit. Ça ne l’empêche pas d’entendre les protestations externes, il sait qu’elles existent. Parfois, il les repousse très loin derrière des murs de retrait, et parfois, il accepte de se plier aux exigences de ceux qui les produisent.
Tout était complètement bouleversé, déplacé, différent! Je devais être dans un cauchemar. J’espérais l’être. Mais je ne l’étais pas.
Je savais pouvoir être fonctionnelle dans le mode invisible, arriver à ne pas me désorganiser dans le mode réactif si j’étais au courant qu’il allait exister et que j’avais le temps de me préparer avec des mots de deux syllabes, mais je n’avais pas du tout pensé à imaginer les possibilités du mode je-suis-un-centre-d’intérêt-mais-il-ne-faut-pas-que-ça-paraisse.
C’est la métaphore de l’effet papillon selon laquelle un événement, même infime, pourrait provoquer des événements très différents, comme si d’un simple battement d’ailes, un papillon pouvait provoquer une tornade. Et aujourd’hui, j’allais vivre un changement énorme. J’allais retourner à l’école avec la nouveauté vocale.
Je crois qu’en mode garçon, j’avais un peu moins peur des humains. Personne ne m’avait frappée depuis que j’étais dans une enveloppe masculine. Demain, j’irais à l’école avec la voix, mais je maintiendrais le secret des informations du corps femelle.
On ne donne pas des cadeaux-temps pour rien. Je ne comprenais pas.
La ligne du temps ne doit pas se briser, sinon, ensuite, on demeure un bon moment désaligné d’avec elle avant de pouvoir se rattraper. Je ne veux pas être à la traîne sur la ligne du temps.
La donnée de temps est une donnée tellement stable, fiable, régulière, et moi, je venais de lui manquer de respect. J’ai eu un haut-le-cœur.