Cette guerre-là, Justus avait cru qu'elle se limitait à des attaques par lettres, à des insultes par pamphlets, à des vengeances par livres et, au pire, à ce qui en était la peine capitale : la censure.
Mais il comprenait peu à peu qu'en engageant des idées, on s'engageait tout entier, que le conflit des esprit empoignait aussi des épées et que bientôt, on répondrait par le sang aux attaques menées à l'encre.
Rabelais détenait un pouvoir, un réel pouvoir : les mots. Il en avait une armée à ses ordres ; il pouvait jouer avec leur origine, leurs sens, leurs références. Ils lui avaient voué fidélité. Et, avec lui, le dernier mot, ils ne l'auraient jamais, ces bougres de prétendus doctes!
- Chaque matin, c'est une nouvelle vie qui commence, lui disait souvent Rabelais. Vis ta journée à l'aune d'une vie : le matin t'apporte les projets et l'innocence, le midi te livre la maturité de tes actions, lesquelles tu parachèves l'après-midi. Puis vient le soir et l'heure des bilans et des méditations. En faisant de chaque jour une nouvelle vie, tu agrandiras ton existence de mille possibles.
Justus avait rêvé de mille choses qui ne voulaient pas se laisser saisir et qui gigotaient trop pour qu'il parvienne à mettre des mots dessus.