Je remercie les éditions Hugo et Babelio pour l’envoi de ce livre à l’occasion d’une Masse critique privilégiée. Ceux qui me suivent le savent : j’avais eu la surprise de découvrir que ce livre est en réalité un 2e tome dans la série mettant en scène l’inspecteur de police Hugo Boloren. Dès lors, j’avais eu à cœur de lire d’abord (et tout récemment) « Douve », que j’avais trouvé plutôt sympathique, mais je n’avais pas été excessivement enthousiasmée.
Pas de chance : ce nouvel opus ne m’a pas plu davantage, peut-être même encore un peu moins…
Je parlais de « Douve » comme du livre créateur d’un genre qu’on aurait pu appeler le « cosy thriler » ; ici, il n’en est plus rien, on peut enlever le côté cosy tout de suite ! C’est que l’ambiance proposée est nettement plus sombre, plus glauque… ou peut-être, tout simplement (mais c’est beaucoup) tellement plus immersive que, cette fois, c’est réussi (contrairement à la forêt de sapins de Douve, qui n’a jamais eu l’effet escompté sur moi) et on y croit tout à fait ? En tout cas, on entend réellement les vieux déchets électro-ménagers et autres grincer sous l’effet de leur affaissement progressif, phénomène accéléré par la canicule ambiante. On devine l’odeur insoutenable et on est bien content que les livres ne soient pas réalistes au point de nous mettre de telles odeurs dans le nez ! En outre, malgré la chaleur ambiante qui est répétée encore et encore, on est glacé de découvrir qu’un tel campement de laissés-pour-compte puisse exister dans nos pays dits civilisés, un campement à l’image de ce qu’on a pu voir à Calais par exemple, mais ici le côté sordide est amplifié par la proximité de cette décharge inhumaine qui sert pourtant de jardin à quelques enfants sans avenir, ou par le fait que, tous malheureux que soient ces habitants, ils sont organisés en une mini-société hiérarchisée, où une vraie Française, vivant aux crochets de la sécurité sociale, est devenue « reine »…
Certes, on se pose des questions sur cette décharge. On sait que de tels lieux existent, on se demande (comme quelques-uns des personnages plus ou moins secondaires du roman) comment elle peut continuer à se maintenir, on s’interroge sur l’emplacement exact où elle peut bien se trouver, comme Hugo lui-même, sauf que ce sera éludé jusqu’à la dernière ligne ! C’est qu’il est question de la frontière belge… mais elle se trouve (pour le plus court chemin, vers Baisieux à l’est) à une vingtaine de kilomètres de Lille, où a lieu le principal de l’action ; or Hugo s’y rend le plus souvent en taxi sans jamais noter que le trajet dure une vingtaine de minutes (voire une trentaine, s’il va vers Comines, à l’ouest) par l’autoroute ; j’ai vraiment eu l’impression que ça se trouvait aux environs immédiats de Lille, je ne sais qu’en penser... En outre, on comprend très vite que plusieurs des habitants de cette décharge sont arrivés là après avoir renoncé à tenter de rejoindre l’Angleterre. On est pourtant à plus de 70 km de la mer… étrange idée que tous ces gens se soient rassemblés si « loin » (ou pas ?) de l’objet initial de leur désir ?
Tout cela pour dire : j’ai eu l’impression que l’auteur avait juste envie de placer son intrigue dans ce Nord devenu mythique depuis les Ch’tis (tiens, les revoilà ! cf, encore, mon commentaire sur "Douve"), et a inventé cette décharge à la frontière franco-belge pour accentuer peut-être ce côté glauque entretenu par la cécité bien pratique de nos deux démocraties – au moins il n’a pas passé son temps à se moquer de la Belgique, tout au plus les autorités de mon pays s’amuseraient à éloigner la frontière de quelques pas pour que cette décharge reste bien en France : sérieusement ?
Pour le reste, l’auteur applique à nouveau une partie des recettes qui avaient fait le succès du premier opus, et notamment ce « comique de répétition » qui, ici, sert réellement à assurer cette part de légèreté qui, autrement, manquerait terriblement. Il y a à nouveau un truc autour de la première gorgée de bière, qui n’est plus mise en exergue comme dans Douve, mais à chaque fois que l’un des protagonistes la boit, on a l’impression d’avoir un petit arrêt sur image, le temps qu’il la savoure, et puis seulement l’histoire peut reprendre !
Et puis, tant qu’à rester dans la bière, il y a (je cite, je crois qu’on en parle pour la première fois à la page 108) : « "Bière de Snick, la lambic authentique qui tombe à pic" est inscrit en lettre rouges sur les verres. La serveuse zélée précise à mon intention qu’en vrai, c’est pas une lambic, c’est pour la rime. » Eh bien, croyez-le ou non, cela va revenir en leitmotiv tout au long du livre, notre Hugo s’avérant grand consommateur de cette bière qu’il apprécie, dont il abuse à plus d’une reprise, et toujours avec ce petit refrain. Le seul petit problème, finalement, c’est que ça fera peut-être rire le lecteur lambda… tandis que ça devient très vite irritant pour ceux qui s’y connaissent un peu, dont je me targue de faire partie (juste un peu, disais-je, mais suffisamment). Et donc, je ne suis pas certaine que la bière Snick existe ; mais en aucun cas, si elle est brassée dans le Nord comme le laisse entendre l’auteur, elle ne peut être de type « lambic » ! cette dernière étant une spécialité propre à Bruxelles et à ses environs, produite exclusivement dans la vallée de la Senne – la rivière qui traverse Bruxelles donc, en grande partie voûtée depuis les grandes épidémies d’autrefois, mais il y aurait « quelque chose » dans l’air qui fait cette bière particulière… et inégalable où que ce soit ailleurs, même chez nos proches voisins de Lille ! Malheureusement, si l’auteur précise (et répète à l’envi) que sa fameuse Snick n’est donc pas une lambic, il ne précise jamais exactement pourquoi, restant là aussi dans l’élusion…
Bon, je ne veux évidemment pas faire tourner tout mon commentaire autour de cette frontière franco-belge et de la bière pas-lambic (car pas-belge), mais ceux qui me suivent savent que je suis sensible dès qu’il s’agit de mon pays vu par des yeux français, et là j’apprécie que l’auteur ait réussi à ne froisser personne, tout en regrettant qu’il ait activé à cette fin un certain art de l’esquive… si bien que ça apparaît finalement comme une occasion manquée.
Cela dit, ce n’est pas pour cette raison-là que ce livre m’a moins plu que le précédent. C’est plutôt, malheureusement, à cause de son personnage principal ! À nouveau il m’a paru lisse, un anti-héros qui se laisse porter par les événements, par les quelques femmes qui l’entourent, par ses collègues, et plus que tout par sa fameuse « bille » qui est devenue bien centrale dans cet opus-ci ! Il ne s’agit plus seulement de son flair de policier vu de façon imagée, mais presque d’une part de lui, qui va d’ailleurs valoir des analyses pseudo-psychologiques de la part de ses collègues – peut-être avec raison, d’ailleurs, car en attendant que sa bille revienne (car elle est partie !?), il n’est guère actif le Hugo, et il faudra un retournement vraiment désolant pour que tout à coup il se décide à s’activer « avant le "ding" de sa bille » !
Le 4e de couverture parle d’un « héros désenchanté à souhait » - mais pour moi ce n’est pas ça ! Un Adamsberg est désenchanté, un Servaz est désenchanté, mais au moins ils se bougent ! Ici, Hugo Boloren est réellement neurasthénique, comme le dit ce même 4e de couverture, et dès lors il erre sans but, sans efficacité, comme vidé de toute substance ! Déjà qu’il n’est pas dépeint comme un héros très actif… je n’accroche décidément pas !
Et comme si ça ne suffisait pas, on a la résolution finale, dans cette forme qui m’insupporte dans les romans policiers : le super-enquêteur (tu parles !) rassemble tout le monde en un lieu précis (ici, bien sûr, à la décharge) et reconstitue ce qui s’est réellement passé, en toute fin de volume. Ce qui est gênant dans ce choix, c’est que ça paraît assez artificiel, mais surtout, si certains éléments de cette résolution s’emboitent parfaitement dans les différents puzzles qui ont été créés, avec cette surprise mêlée de compréhension que le lecteur peut ressentir dans un bon thriller, ici on a aussi toute une série d’éléments (dont certains décisifs) qui sortent tout à coup du chapeau de l’auteur, qui n’ont en rien été évoqués ; au mieux, certains avaient été vaguement, à peine effleurés au passage pour certains, mais même pas tous… Et avec tout ça, Hugo Boloren fait une grosse soupe qui résout tout, donnant une longue explication dont j’ai décroché avant la fin, autant par lassitude que par énervement, ce sentiment que l’auteur prend son lecteur bien un peu pour un con – désolée pour l’expression.
Hugo conclut tout cela en admettant qu’il n’est pas un aussi bon flic que certains de ceux qu’il a croisés à Lille (ce qui est tout à fait vrai), et qu’il va démissionner : effet classique dans tant et tant de séries policières, où le pseudo-héros flic bousculé décide de tout laisser tomber, et puis revient quand même dans un épisode suivant… Ainsi, je ne sais pas trop quoi comprendre : l’auteur annonce-t-il que la série Hugo Boloren s’arrête là, ou bien est-ce juste pour faire un effet ? Je ne sais même pas trop quelle option je préférerais…
En effet, malgré tous ces points qui oscillent entre intérêt, sourires, irritation, et lassitude – ce qui donne un bilan un peu mitigé -, je retiens aussi quelques passages magnifiques ! Tout ce qui tourne autour du petit Jimcaale, qui a grandi dans cette décharge et qui y trouvera une mort violente, c’est extrêmement touchant… et même si l’auteur insiste bien sur la mort cérébrale du gamin, dès le début du livre, comme Jimcaale reste « branché » le temps de l’enquête, on a vraiment envie qu’il ressuscite tout à coup ! Ou bien, la lente acceptation d’Hugo de la maladie (d’Alzheimer) de sa mère, et le besoin de l’accompagner dans cet hôpital spécialisé où il est trop conscient qu’elle terminera probablement ses jours, en se perdant dans les méandres d’une mémoire qui ne fonctionne plus, c’est terriblement touchant car hélas tellement réaliste, et la façon dont l’auteur présente les choses résonne avec une grande justesse.
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