- Oh que si! Le Diable existe, mais il n'est pas comme tu l'imagine, avec des cornes, une queue et des pattes de chèvre.
- À quoi ressemble-t-il, alors?
- À toi, à moi, à n'importe lequel d'entre nous. Il est fait de chair et d'os, en fin de compte...
- Loin des yeux loin du coeur, lui dit le journaliste en lui touchant l'épaule pour la forcer à s'arrêter.
- Amour de loin... commença Rafaela, sans oser terminer le dicton qui aurait pu offenser Buenaventura.
- ... amour de crétins, compléta Manuel, prenant une mine faussement sérieuse devant la moue qui se dessina sur le visage de la jeune fille.
Elle cessa de chanter en pensant que le pays de son enfance était le Mexique, et qu'elle n'aimerait jamais une autre ville autant que Mexico. Mais il s'agissait d'un "amour à la mexicaine", comme disait son cher ami Julio Villareal. Un amour passionnel, dévorant, violant et obsessif. Un amour possessif qui réclamait toute son attention et lui permettait seulement, quand elle se retrouvait dans cette ville, d'errer dans ses ruelles, ses avenues, ses allées, ses milliers de rues qui lui racontaient plus d'histoires que les Mille et Une Nuits, et lui dévoilaient les terrifiants secrets des âmes en peine qui, même après la mort, ne pourraient jamais quitter cette ville où cohabitaient les vivants et les morts, les dieux anciens et les saints. Chaque coin de rue lui rappelait une autre vie antérieure et l'égarait parmi mille réincarnations qui, de leur voix sourde pleine de séduction insidieuse, ne la laisserait pas savoir si elle les avait déjà vécues ou si elle y entrait à peine, car à Mexico les morts restaient longtemps en vie et les vivants participaient, sans pouvoir mourir, de ce temps propre aux morts qu'on appelle l'éternité, et qui n'est qu'une mort sans fin.
Pourquoi la douleur de certains souvenirs dure moins que la peur de ces matins où il ne se passe rien encore et qui, avec un peu de chance, n'arrivent jamais.
Il est rare que les morts prennent congé. Sans que nous le sachions, ils s'en vont sans dire adieu, un peu en cachette, comme ces invités à une fête qui se souviennent brusquement d'un rendez-vous plus important et s'échappent par une porte dérobée.
J'ai regardé Alberto, les yeux mi-clos, la tête chancelante au rythme des paroles d'une chanson : « Ta voix a pénétré mon être et je la retiens prisonnière… »
L'âge l'avait prise par surprise et Veronica ne voyait pas dans la glace, qu'elle trompait par ses mimiques faites de regards en coin et de minauderies avec lesquels elle avait berné tant d'hommes, que son visage ne cachait plus son âge, ni son caractère égoïste et paresseux, ni la bassesse de ses ambitions ni la rapacité de ses désirs, peut-être parce que les années, quand elles commencent à sillonner de rides un visage, impose un masque élaboré à partir des pulsions les plus profondes, celles qui survivent aux ravages du temps et en triomphent, en se faisant oublier dans un recoin obscur et en finissant par l'emporter.
La compassion est un sentiment qui dresse une personne passionnée contre elle-même, et finit par l'irriter contre celui qui la lui inspire.
Rends-toi compte, Rafaela, un tueur a tellement peur qu'il tue pour fuir la mort. Il croit l'esquiver quand il s'en approche, quand il la convoque pour tuer quelqu'un d'autre, sans s'apercevoir qu'il se tue lui-même.
Il se sentit à nouveau pris au piège que lui tendaient ses principes : les oublier n'était-ce pas s'oublier soi-même?