J'ai été appelé étrange, excentrique, bizarre, fou, solitaire, insociable, misanthrope. Il est sans doute bien vrai que je suis : étrange par rapport au banal, excentrique par rapport au bourgeois, bizarre par rapport à l'ordinaire, fou par rapport au cartésien, solitaire et sauvage par rapport au mouton, misanthrope par rapport au philanthrope. Mais il ne me semble pas qu'on se soit jamais demandé si j'étais tout cela parce que j'aimais l'être ou parce que la bêtise, l'ignorance, la vulgarité, l'étroitesse d'esprit, le manque de goût, de sensibilité et d'imagination des autres ne m'avaient pas laissé le choix.
Je suis assailli par une meute d'oursins et, furieux, l'escalator vocifère quand enfin je m'éveille, tiré par le rebord d'un fermoir. A l'autre bout de la chambre, dépassant à peine de la poche de mon manteau, le chapeau lilliputien vibrionne tandis que des cris stridents continuent d'envahir la pièce. "Aurore unique ! Tunique amnésique !" Me revient brusquement en mémoire l'invraisemblable rencontre. "Ficelle mortelle ! Quand est-ce qu'on nage ?" Avec d'infinies précautions j'extirpe la petite tête et la porte dans la cuisine où je l'installe, selon ses instructions, sur une biscotte flottant sur un bol de café.