La saison touchait à sa fin. Walter et Kitty s'étaient beaucoup vus, mais il demeurait aussi réservé et impénétrable qu'au premier jour. Une certaine gaucherie avant remplacé sa timidité, ses propos ne sortaient pas des généralités. Kitty finit par conclure qu'il n'était pas du tout amoureux. Elle lui plaisait, il trouvait sa conversation agréable, mais, dès son retour à Hong-Kong, en novembre, il l'oublierait. Peut-être même était-il fiancé là-bas à quelque infirmière, fille de clergyman, modeste, consciencieuse, et aux pieds plats. Voilà la femme qui lui conviendrait.
"Sans un geste, le visage toujours impénétrable, il écoutait avec attention. Rien dans sa physionomie ne révélait qu'il fut touché par les paroles de sa femme.
- Savez-vous pourquoi je vous ai épousé?
- Pour être mariée avant votre soeur Doris.
C'était exact. Mais Kitty reçut un choc en découvrant qu'il ne l'ignorait pas. A sa peur et à sa fureur se mêla une pitié inattendue. Walter souriait faiblement.
- Je n'avais pas d'illusion, reprit-il. Je vous savais frivole, sotte et superficielle. mais je vous aimais. Je savais la mesquinerie de vos visées et la médiocrité de votre idéal. Mais je vous aimais. Je faisais un effort grotesque pour prendre plaisir aux choses qui vous amusaient et pour vous dissimuler que je n'étais ni ignorant, ni vulgaire, ni médisant , ni bête. Je connaissais votre répulsion pour l'intelligence et je tâchais d'égaler à vos yeux la nullité de vos amis. je savais que vous m'aviez épousé par raison. Cela m'était égal, je vous aimais tant ! La plupart des êtres se sentent lésés quand ils aiment sans réciprocité. Ils en nourrissent de l'amertume et de l'aigreur. Ce n'était pas mon cas. Je n'ai jamais espéré être aimé de vous. Comment m'y serais-je attendu? Je ne me suis jamais trouvé séduisant. J'étais reconnaissant d'être autorisé à vous aimer."