Et se sentir vivant.
Vivant d’aimer. Vivant d’être au monde. Une petite pièce dans un rouage indescriptible. Un petit rien d’un tout barbare.
Juste être vivant.
Christophe a alors cette surprenante habitude, pour qui désire vendre ses livres, de déconseiller son achat à moins d'être à la fois passionné du Moyen Âge et fin connaisseur du Jura (ce qui réduit drastiquement le spectre des lecteurs).
Il y a quelque chose du bonheur dans le simple fait de respirer l’air frais de l’aurore. Une petite naissance. Un goût de liberté sereine.
En flânant, j’effleure des lieux familiers. Je les interprète, je les rhabille, je leur rends leurs contours. Immuables et changeants.
J'ouvrirai ma maison, tu liras sur les murs.
J'ouvrirai ma maison, peut-être y verras-tu ce que j'endure.
Le Café Slatkine dort au coeur de la vieille ville de Genève, entre la place Saint-Antoine et la place du Bourg-de-Four, juste à côté du Palais de justice. C'est une échoppe centenaire (l'arrière-grand-père y a ouvert sa librairie en 1918) assez étroite où l'on trouve une sélection d'ouvrages publiés par l'éditeur éponyme. Tellement étroite que l'on a intérêt à ne pas publier un trop gros volume si l'on veut y avoir sa place. Le café y est sûrement bon (mais j'y ai toujours préféré une Brooklyn ou un verre de vin), l'ambiance agréable, et je vous défie de trouver un autre bar littéraire où l'on sert de la raclette. Le thriller que vous y aurez déniché pourrait bien sentir le fromage.
Je me souviens alors de mes jeunes années. Dévoré par les vapeurs d’alcool dans une cave humide ou une allée d’immeuble déserte (ou semblant déserte), découvrant le Graal avec toute la finesse d’un adolescent sur un joystick, laissant courir à tâtons mes doigts bringuebalants, désinhibés mais appliqués sur la précieuse relique encore fraîche comme un bout de steak cru, surpris par l’essence et la texture de la chose, encouragé par une autre main douce et petite décidément très indulgente, encore ingénue, apprenant tous deux, chacun pour soi mais ensemble, le b.a.-ba de cet art compliqué : moi à palper, elle à faire semblant.
Au fond des vallées je retrouve dans les hommes la rudesse de la pierre et le roc des montagnes. J’aime cette âpreté brute. Cette corne sous la peau. Ce sens de la solitude et du troupeau. Epaule contre épaule, comme les chalets, tous serrés les uns contre les autres pour lutter contre l’hiver. J’aime cette franchise minérale, cet instinct primaire. Passer d’un regard méfiant à une lourde pogne dans le dos qui te décolle la rate. Je suis sauvage, je parle leur langage. J’aime me réchauffer à leur alambic le soir venu, écouter parler la terre, les loups et les ancêtres.
J'écris ma vie pour exister. Pour rester vivant. Vivant d'être, d'avoir été, de devenir ces contours vagues sur la berge, là-bas, derrière le tulle.
Je me livrerai, dirai mes armées, mes chevaux, mes navires, mes ciels bleus, mes amandes. Mes empreintes. Mon orgueil.