Utopiales 2017 : Interview de Kao Yi-Feng
Dans la forêt devant eux, les feuilles de taros recommencèrent à danser. Ces feuilles vertes aux extrémités sombres parurent entrer en transe, comme si elles balançaient la tête à l'intérieur de tubes invisibles, dessinant des lignes et des orbites singulières, aguichant les mouches vertes qui avaient envahi les fils électriques. Celles-ci n'avaient de cesse de décoller et d'atterrir à l'emplacement où avait été suspendu le cadavre du chiot. Leurs pattes à peine posées sur la clôture, leurs yeux à facettes écarlates pivotèrent vers Gao Ding. Aucune brise ne caressait les visages, mais les feuilles étaient secouées, comme si elles obéissaient à des caprices de démons ordonnant aux insectes de bourdonner selon une chorégraphie bien précise.
Il ne s’agissait bien sûr pas d’une comédie, mais la scène avait quelque chose de réaliste et grotesque à la fois. C’était à croire que la porte, une fois entrouverte par le cadavre, donnait sur des escaliers qui, à travers la route goudronnée, aboutissaient à un monde souterrain inconnu. En voyant le délégué dans cet état, la majorité des adultes sans enfant encore ensommeillés ne purent s’empêcher de sourire ; les adultes déjà réveillés firent des têtes de personnages de cartes à jouer, puis plongèrent dans leurs pensées. La plupart des anciens eurent la flemme d’écouter le message en entier.
Sauf à mourir durant l’enfance, aucun choix ne se présente à nous que celui de grandir. Lentement. Et, petit à petit, de devenir des adultes. Des adultes incapables de résoudre les problèmes…
À supposer que le projet soit accepté, il faudra encore obtenir l’accord signé de plus de la moitié des habitants. Il nous faudra enfin faire une estimation des frais d’installation, qui peuvent varier selon les habitations : appartements dans des immeubles classiques, dans des immeubles en escalier, des maisons de plain-pied, avec ou sans jardin… Ce n’est pas en deux phrases qu’on peut faire comprendre ça à des gosses.
Les adultes occupant des responsabilités importantes dans les compagnies de la vallée reçurent nombre de radiomessages les enjoignant de les rappeler. Mais les téléphones étaient devenus inutilisables. Certains essayèrent donc de s’échapper discrètement en scooter lors des nuits les plus noires, tentant de contourner les sentiers derrière la montagne.
Ce n’est qu’une fois morts que les adultes se rappellent comment ils marchaient à l’époque où ils étaient encore des enfants, ajouta Graine, mais sans s’adresser à quelqu’un en particulier.