Zara Cox

Tout ce que je n’étais pas, en fait. Que disait-on, déjà, sur les opposés ? En même temps, je n’étais ni timide ni réservée. Plutôt pugnace, en plus. Quand elle ne m’appelait pas « tête de mule », ma grand-mère Agnès disait que je n’étais pas facile. Elle m’avait aussi traitée de « peau de chameau » une fois ou deux. Pas très sympa, mais pas faux non plus. Non, je n’avais pas à craindre ce Gideon Mortimer, qui devait être la dernière personne à pouvoir faire frissonner mes parties intimes.

Cet homme conduisait sa voiture comme s’il lui faisait l’amour, ou plutôt, comme s’il la baisait. Doucement. Sensuellement. Inexorablement. Chaque passage de vitesse et flexion de sa cuisse était comme une symphonie envoûtante. Un spectacle tellement captivant que je ne pouvais détourner le regard.Je réalisai soudain que j’étais en train de me mordre les lèvres et que mes doigts étaient profondément enfoncés dans le cuir souple du siège. Je m’efforçai de me détendre. Je pris une bouffée d’air, malheureusement imprégnée d’une odeur virile de bois de santal, pour remettre de l’ordre dans mon esprit.Caleb Steele était le genre d’homme qui verrait ma gêne comme une faiblesse. Il saurait l’utiliser à son avantage.— D’où allons-nous décoller ?Depuis notre départ de la maison, il avait gardé le silence. Personnellement, je trouvais son attitude un peu déconcertante, d’autant plus que je m’étais attendue à être bombardée de questions.Il changea de nouveau de file avant de me répondre, et me lança un long regard en coin qui me donna un léger aperçu de ce qu’une personne pouvait ressentir lorsqu’elle était électrocutée.

Dès le premier regard, je sentis mon ventre se nouer et mes poumons se vider sans que je puisse reprendre mon souffle.J’aurais été bien incapable de dire si l’état de choc dans lequel je me trouvais avait été causé par la vue de ses cheveux blond platine un peu décoiffés ou par ses lèvres rouges et pleines, qu’elle était en train de mordiller. À moins que les responsables ne soient ses immenses yeux émeraude en amande qui me regardaient fixement. Ou son corps mince et souple, entièrement recouvert de dentelle et de cuir.De la dentelle et du cuir…Cette association à elle seule était suffisamment fatale et mon regard s’arrêta sur les manchettes cloutées autour de ses poignets et le collier ras-de-cou assorti qu’elle portait.Bon sang.Cette femme était un croisement entre une rock star punk en devenir et un fantasme sadomasochiste.

Mon cœur était à l’image d’une jambe cassée qui aurait cicatrisé, mais sans plus être vraiment droite. À cette différence qu’un cœur tout racorni, ça ne se voyait pas… Et pourtant je ne faisais plus confiance à personne, je fuyais toute forme d’engagement amoureux et n’étais pas sûre d’avoir un jour envie de prendre le risque d’aimer à nouveau.Mon cœur était brûlé, soit, mais il était peut-être temps d’appuyer sur la touche « reset » et d’aller de l’avant.Encore fallait-il que mon foutu client joue un minimum le jeu !Je lâchai un soupir, le regard perdu sur la ligne d’horizon. Il faisait déjà chaud dehors.Juin était un mois magnifique sur la Côte d’Azur et le décor qui s’offrait à moi ne faisait pas mentir sa réputation.

Elle était absolument fascinante.Personne ne méritait d’être harcelé, que ce soit en ligne ou physiquement, mais, en la regardant, je comprenais pourquoi elle pouvait être devenue l’obsession d’un psychopathe.Dès l’instant où cette idée traversa mon esprit, je me figeai, luttant contre l’idée que cette sublime créature puisse être en danger. Je sentis mon sexe durcir tandis qu’elle s’avançait vers moi. Elle avait une démarche élégante mais sexy, celle d’une femme consciente de ses atouts mais qui n’avait pas besoin d’en faire étalage. Une femme qui connaissait le pouvoir de ses hanches voluptueuses, de ses lèvres pleines et de sa poitrine généreuse.

J’hésitai entre sourire ou me mettre en colère. Sourire parce que si je décidais de l’appeler sur-le-champ, elle me répondrait. Me fâcher, parce que cette rousse avait été la première à éveiller mon intérêt depuis très longtemps, la première à faire naître en moi l’espoir de mettre un terme à cette aride traversée du désert qui avait pris le pas sur ma vie sexuelle. Pourtant, malgré l’excitation qui s’était emparée de moi, le désir de la ramener dans mon lit se dissipa très vite. Je contemplai de nouveau la photo et caressai une seconde mon sexe au repos avant d’appuyer sur le bouton « Supprimer », effaçant du même coup la fille de mes contacts.

Tu viens de rentrer dans leur jeu, d’accepter de leur donner le contrôle de ta vie privée. Tu viens de t’engager à te comporter en moine pendant trente jours. Plus de fêtes. Pas de clubs privés. Pas de sexe.J’avais conscience que toutes ces choses ne représentaient que des expédients, mais je n’avais pas d’autres façons de bâillonner les démons du passé qui m’assaillaient la nuit, et d’échapper aux regrets. Pendant un mois, je n’aurais plus aucun moyen d’oublier, même quelques heures, les occasions manquées, la trahison et la perte. Plus aucune distraction qui m’éviterait de penser que j’avais perdu mon meilleur ami.

Dès l’instant où nos regards s’étaient croisés, l’intérêt sexuel à peine déguisé dans ses prunelles avait embrasé mes sens. Je savais que ma façon de m’habiller et de me coiffer m’attirait des regards que ma personnalité de jeune adolescente aurait préféré éloigner. Mais c’était avant de me forger une épaisse carapace. Avant que je comprenne clairement que quoi que je fasse, je ne serais jamais rien de plus pour mon beau-père qu’un chèque à la fin du mois en compensation de la maigre attention qu’il m’avait manifestée tout au long de ces tristes années où il m’avait élevée par la force des choses.

Ma capacité à retourner les événements, bons ou mauvais, à mon avantage, était ce qui avait fait ma renommée.Mais personne ne commence sa vie en imaginant devenir un jour ce que je suis, à savoir un ange gardien.Je ne m’en étais jamais plaint jusqu’à présent. J’étais doué dans mon travail. Parfois, j’aurais préféré l’être moins, d’ailleurs. Mais inutile de me voiler la face… La plupart du temps, j’aimais ce que je faisais. Ce n’était pas le cas ce soir. Les appels que je recevais à 2 heures du matin étaient toujours les pires. Surtout lorsqu’ils interrompaient des préliminaires très prometteurs.

— Pourquoi moi, Quinn ? demandé-je malgré moi.
Non, mais, sérieusement. J’ai beau retourner la situation dans tous les sens et je n’y comprends absolument rien. Il pose une paume sur la table et se met à tapoter des doigts sur celle-ci.
— Peut-être parce que j’ai besoin d’apaisement, de quiétude.
Quelque chose se brise en moi. Probablement pour la première fois, je comprends exactement ce qu’il ressent. Je pose ma main sur la sienne et le sens se raidir sous mon toucher.
— OK, Quinn, je serai ton… ton refuge quand tu en auras besoin. Je serai là pour toi.