Pauline est révoltée par la guerre. L'idée que des peuples chrétiens s'entre-tuent l'insupporte. Comment jouir encore des plaisirs simples de la vie alors que la bêtise conduit le monde au désastre ?
Aucune différence entre les blessés qui chialent et souffrent de la même manière. Ces ennemis sont des frères qui s'ignorent.
Et aucun dialogue n'est possible sans un autre qui sache écouter.
Si le judaïsme identifie un peuple, alors il lui faut un pays ; s'il caractérise une spiritualité, alors il ne peut s'enfermer dans des frontières.
[...] mieux vaut mourir dans la dignité que survivre dans la honte.
Maman, je reste en colère. Je ne puis ni comprendre, ni accepter qu'un père abandonne son propre enfant, sans jamais - je dis bien jamais - chercher à le voir , l'entendre, lui parler, l'embrasser - même lorsqu'il est venu à ton chevet alors que tu souffrais du décès de Daddy, même alors le Roi n'a pas daigné me rencontrer. Je ne puis comprendre, ni accepter que sa vie durant la mère de cet enfant se rende complice d'un tel déni, qu'au moment de prétendre avouer, elle cherche encore à se justifier et qu'au moment de mourir, elle brûle tout au lieu de tout révéler. Ni comprendre, ni accepter que tu aies jusqu'au bout , préféré défendre le Roi, plutôt que condamner sa lâcheté. Tu ne t'es pas grandie, tu t'es rabaissée. Par rapport à tout ça, la question royale, c'est une blague, un brouillamini agité pour esquiver - tu en étais la spécialiste ! Tout ce que tu racontes dans cette lettre concernant ma filiation , je le savais, je l'avais progressivement appris à travers les actes manqués des uns et des autres, et d'abord à travers les tiens - car oui il est très difficile de bien mentir dans la durée sur ce qui doit être dit. Ta lettre n'apprend donc rien d'important à ce sujet, mais elle est bien utile pour te disculper.
« Détrompe-toi. J’ai connu la guerre. Mais j’y ai rencontré des hommes et des femmes qui, malgré l’horreur, restaient convaincus que tout être renferme, selon les mots du Besht, des « étincelles saintes », et que la vocation humaine est de faire jaillir ces étincelles, chacun selon sa propre voie. »
(page 73)
« À l’usine, tu te sens appelée par un engagement au nom de la justice. C’est magnifique, mais il ne peut y avoir de justice sans amour. Si tu imposes la justice par la haine, avec l’égalité tu gagneras la détestation. La rage au cœur est légitime, jamais la haine des autres. Si tu te bats pour la justice avec rage, par amour des plus petits, sans haine envers les autres, alors tu contribueras à l’émergence d’une véritable communauté humaine. Pendant la guerre, dans ton œuvre d’infirmière, tu n’as pas séparé l’Allemand et le Français, tu les as soignés l’un et l’autre avec la même compassion. Eh bien, fais de même à l’usine. »
(page 79)
Sauf pour ceux qui ont le goût de l'histoire, ce qu'a fait une génération n'intéresse pas la suivante. C'est un fait qu'il n'y a d'expérience valable que celle que chaque génération fait elle même et que c'est lettre morte pour les générations suivantes (...) Comme historien, je pense qu'on ne comprend bien une génération que si l'on tient compte de ce qu'elle a vécu (...) On peut restituer le cheminement d'une collectivité, d'une société, d'une famille de pensée à travers l'étude d'une vie.
[...] je sens que la beauté ne se commente pas, qu'elle se contemple.
L'héroïsme l'effraie : ce n'est pas la peur de trop ou de mal faire, c'est la vile peur au ventre de souffrir et de mourir.
« À cette époque, j’ignorais encore que, sevrés si longtemps des gestes usuels de la tendresse, ces bons prêtres n’osaient pas vous toucher, moins encore vous prendre dans leurs bras. Plus tard, beaucoup plus tard, je saurai combien ils en souffraient en silence. » (page 121)
« Pauline part, je reviens. Pauline s’en va la mémoire pleine ; je remonte le temps la mémoire vide. Il lui fallait prendre son envol ; il me faut remonter à la source pour y boire enfin. Au fond elle et moi formons l’enfant prodigue : elle a quitté, je reviens. »
(page 12)
[...] dans leurs chaumières, les mères allemandes et les mères belges ne prient-elles pas le même dieu? Alors, comment comprendre que leurs enfants s'entre-tuent ?
[...] il est si facile de distiller dans les esprits fragiles des idées fausses enrobées d'élégantes tournures !
"Ne pas juger le passé d'après le présent, mais d'après le passé qui est derrière ce passé."