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3.63/5 (sur 41 notes)

Nationalité : France
Biographie :

Eric Cobast, professeur agrégé de l’université et professeur à l’ENM (Ecole nationale de la magistrature), a rejoint le Groupe INSEEC en tant que directeur académique de la branche prépas et conseiller à la recherche.

Directeur de collection et blogueur à l’Etudiant, il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages qui, pour la culture générale, font désormais référence, notamment Leçons particulières de Culture générale (Ed. Presses Universitaires de France).



Source : business-school.inseec.com/
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
L'écrivain en vacances

Gide lisait du Bossuet en descendant le Congo. Cette posture
résume assez bien l'idéal de nos écrivains « en vacances », photographiés par le Figaro : joindre au loisir banal le prestige
d'une vocation que rien ne peut arrêter ni dégrader. Voilà donc
un bon reportage, bien efficace sociologiquement, et qui nous
renseigne sans tricher sur l'idée que notre bourgeoisie se fait de
ses écrivains.
30 Mythologies
Ce qui semble d'abord la surprendre et la ravir, cette bourgeoisie, c'est sa propre largeur de vues à reconnaître que les
écrivains sont eux aussi gens à prendre communément des
vacances. Les « vacances » sont un fait social récent, dont il
serait d'ailleurs intéressant de suivre le développement mythologique. D'abord fait scolaire, elles sont devenues, depuis les
congés payés, un fait prolétarien, du moins laborieux. Affirmer
que ce fait peut désormais concerner des écrivains, que les spécialistes de l'âme humaine sont eux aussi soumis au statut général du travail contemporain, c'est une manière de convaincre
nos lecteurs bourgeois qu'ils marchent bien avec leur temps:
on se flatte de reconnaître la nécessité de certains prosaïsmes,
on s'assouplit aux réalités « modernes » par les leçons de Siegfried et de Fourastié.
Bien entendu, cette prolétarisation de l'écrivain n'est accordée qu'avec parcimonie, et pour être mieux détruite par la suite.
A peine pourvu d'un attribut social (les vacances en sont un fort
agréable), l'homme de lettres retourne bien vite dans l'empyrée
qu'il partage avec les professionnels de la vocation. Et le
« naturel » dans lequel on éternise nos romanciers est en fait
institué pour traduire une contradiction sublime : celle d'une
condition prosaïque, produite, hélas, par une époque bien matérialiste, et du statut prestigieux que la société bourgeoise
concède libéralement à ses hommes de l'esprit (pourvu qu'ils
lui soient inoffensifs).
Ce qui prouve la merveilleuse singularité de l'écrivain, c'est
que pendant ces fameuses vacances, qu'il partage fraternellement avec les ouvriers et les calicots, il ne cesse, lui, sinon de
travailler, du moins de produire. Faux travailleur, c'est aussi un
faux vacancier. L'un écrit ses souvenirs, un autre corrige des
épreuves, le troisième prépare son prochain livre. Et celui qui
ne fait rien l'avoue comme une conduite vraiment paradoxale,
un exploit d'avant-garde, que seul un esprit fort peut se permettre d'afficher. On connaît à cette dernière forfanterie qu'il
est très «naturel» que l'écrivain écrive toujours, en toutes
situations. D'abord cela assimile la production littéraire à une
sorte de sécrétion involontaire, donc tabou, puisqu'elle échappe
Mythologies 31
aux déterminismes humains : pour parler plus noblement, l'écrivain est la proie d'un dieu intérieur qui parle en tous moments,
sans se soucier, le tyran, des vacances de son médium. Les écrivains sont en vacances, mais leur Muse veille, et accouche sans
désemparer.
Le second avantage de cette logorrhée, c'est que par son
caractère impératif, elle passe tout naturellement pour l'essence
même de l'écrivain. Celui-ci concède sans doute qu'il est pourvu
d'une existence humaine, d'une vieille maison de campagne,
d'une famille, d'un short, d'une petite fille, etc., mais contrairement aux autres travailleurs qui changent d'essence, et ne sont
plus sur la plage que des estivants, l'écrivain, lui, garde partout
sa nature d'écrivain ; pourvu de vacances, il affiche le signe de
son humanité ; mais le dieu reste, on est écrivain comme Louis
XIV était roi, même sur la chaise percée. Ainsi la fonction de
l'homme de lettres est un peu aux travaux humains ce que l'ambroisie est au pain : une substance miraculeuse, éternelle, qui
condescend à la forme sociale pour se faire mieux saisir dans sa
prestigieuse différence. Tout cela introduit à la même idée d'un
écrivain surhomme, d'une sorte d'être différentiel que la société
met en vitrine pour mieux jouer de la singularité factice qu'elle
lui concède.
L'image bonhomme de « l'écrivain en vacances » n'est donc
rien d'autre que l'une de ces mystifications retorses que la
bonne société opère pour mieux asservir ses écrivains : rien
n'expose mieux la singularité d'une «vocation» que d'être
contredite - mais non niée bien loin de là - par le prosaïsme de
son incarnation : c'est une vieille ficelle de toutes les hagiographies. Aussi voit-on ce mythe des «vacances littéraires»
s'étendre fort loin, bien au-delà de l'été : les techniques du journalisme contemporain s'emploient de plus en plus à donner de
l'écrivain un spectacle prosaïque. Mais on aurait bien tort de
prendre cela pour un effort de démystification. C'est tout le
contraire. Sans doute il peut me paraître touchant et même flatteur, à moi simple lecteur, de participer par la confidence à la
vie quotidienne d'une race sélectionnée par le génie : je sentirais sans doute délicieusement fraternelle une humanité où je
32 Mythologies
sais par les journaux que tel grand écrivain porte des pyjamas
bleus, et que tel jeune romancier a du goût pour « les jolies
filles, le reblochon et le miel de lavande ». N'empêche que le
solde de l'opération c'est que l'écrivain devient encore un peu
plus vedette, quitte un peu davantage cette terre pour un habitat
céleste où ses pyjamas et ses fromages ne l'empêchent nullement de reprendre l'usage de sa noble parole démiurgique.
Pourvoir publiquement l'écrivain d'un corps bien charnel,
révéler qu'il aime le blanc sec et le bifteck bleu, c'est me rendre
encore plus miraculeux, d'essence plus divine, les produits de
son art. Bien loin que les détails de sa vie quotidienne me rendent plus proche et plus claire la nature de son inspiration, c'est
toute la singularité mythique de sa condition que l'écrivain
accuse, par de telles confidences. Car je ne puis que mettre au
compte d'une surhumanité l'existence d'êtres assez vastes pour
porter des pyjamas bleus dans le temps même où ils se manifestent comme conscience universelle, ou bien encore professer
l'amour des reblochons de cette même voix dont ils annoncent
leur prochaine Phénoménologie de l'Ego. L'alliance spectaculaire de tant de noblesse et de tant de futilité signifie que l'on
croit encore à la contradiction : totalement miraculeuse, chacun
de ses termes l'est aussi : elle perdrait évidemment tout son
intérêt dans un monde où le travail de l'écrivain serait désacralisé au point de paraître aussi naturel que ses fonctions vestimentaires ou gustatives.
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De Gaulle.

Si la figure du général de Gaulle est sans aucun doute mythique, c'est bien parce qu'elle incarne toujours pour nous l'autorité, la puissance et le prestige des commencements. D'emblée, le général de Gaulle entre de plain-pied dans le monde du mythe. Son patronyme y est pour quelque chose : certes, l'homophonie est commode, elle fait entendre évidemment l'origine mythique, mais aussi déjà la Résistance. L'étymologie du nom "de Walle", signifiant "la citadelle", "le mur protecteur" en vieil allemand, mais aussi la généalogie - la famille aurait pour ancêtre un écuyer de Philippe Auguste - donnent de la consistance à cette première impression.
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