[extrait du chapitre consacré au film Kaïro de Kiyoshi Kurosawa ]
L'acte photographique a tout de la mise à mort qui substitue au sujet un spectre, un fantôme dissocié de lui-même. [...] Il est significatif que l'on appelle la trace photographique que laisse le bougé de l'image un "fantôme". Sur une photographie, nous sommes tous des fantômes, doubles immobilisés et devenus objet de contemplation, d'interprétation, de fascination, dépossédés de nous-mêmes.
Plus généralement, pour Kiyoshi Kurosawa toute technologie est créatrice de fantômes et laisse proliférer ces figures de l'absence dans nos vies.
On a pu croire qu'après Descartes et le siècle des Lumières, les fantômes avaient définitivement quitté les rivages de notre monde pragmatique. Mais, comme chacun le sait, mettez les spectres à la porte, ils reviennent par la fenêtre. Car, curieusement, c'est à travers les plus hautes réalisations de notre raison orgueilleuse, le virtuel, les techniques de reproduction de la voix et de l'image, que les fantômes ont reconquis notre espace quotidien.
Chapitre sur Blow-Up d'Antonioni
[...] Dans la "réalité vraie", le sens est toujours en suspens: direction plutôt que signification. Dire que le réel est épais, c'est reconnaître en lui un fond invisible qui double sa surface sensible. [...] C'est sûrement à tort que nous appelons virtuelles les images de synthèse, entièrement crées pour l'information et pour le plaisir des yeux. C'est bien plutôt le réel qui mériterait d'être appelé virtuel, lourd qu'il est de ce qu'il promet sans jamais l'offrir, apparition et disparition à la fois. Certaines images, au contraire, traînent derrière elles quelque chose qui n'appartient pas, à proprement parler, au visible. C'est plutôt une trace, une ombre ou un bougé : quelque chose comme une imperfection de l'image, [...]. Telle est l'image-fantôme.