L’œil d’une feuille d’arbre, enté sur le rameau d’un autre arbre, produit sur un pied étranger une plante de sa propre espèce, et de même la greffe sur un autre arbre. On peut donc sur un même arbre considérer chaque rameau ou chaque feuille comme simplement greffé ou écussonné sur celui-ci, donc comme un arbre existant pour lui-même, qui se contente de s’attacher à un autre arbre et se nourrit comme un parasite. Les feuilles sont à la fois les produits de l’arbre et ce qui le conserve ; car un dépouillement répété des feuilles tuerait l’arbre, et sa croissance dépend de l’action des feuilles sur le tronc. J
Enfin, sans autre précision, le mot « corps » fait d’abord penser au corps humain, plutôt qu’aux objets inertes ou même aux organismes du règne animal ou végétal ; comme si son sens imposait l’idée d’une dynamique d’intégration de plus en plus haute et de plus en plus individualisante, telle que la matière prend forme ; comme si surtout le corps condensait les facettes contradictoires de l’humanité : ni ange ni bête, ni matière brute, ni esprit éthéré. Le corps se tient dans l’entre-deux. Il est matière, certes, mais depuis le corps physique jusqu’au corps humain, il manifeste le pouvoir de la forme qui façonne la matière, la reprend et l’organise.
En tant qu’organe de l’odorat, le nez tient le milieu entre la relation toute pratique et la relation théorétique avec le monde extérieur. Dans ce milieu, il est encore, il est vrai, affecté à un besoin animal. Car l’odorat est essentiellement associé au goût : ce qui fait que chez l’animal le nez est au service de la bouche et de la nutrition. Mais odorer, flairer, ce n’est pas agir positivement sur les objets, les détruire, comme manger et goûter. Le nez ne reçoit que le résultat de la transformation chimique des corps, qui se mêlent avec l’air dans leur dissolution invisible et secrète.
Par nature les corps sont portés vers le bon plaisir et que l’agrégat de corps que constitue la cité n’est que le produit de l’intérêt des corps les plus faibles. Avec eux advient un mode d’être second : le plaisir du pouvoir, de l’ordre de la représentation. Le plaisir dans la cité réside donc dans l’exercice du pouvoir. Le tyran ne fait alors que manifester innocemment, car plus immédiatement, la vérité de la cité : la contrainte. Le pouvoir des faibles l’occulte en lui substituant l’intérêt civique de quelque soi-disant bien commun.
C’est avec la peau que l’on touche, avec les yeux que l’on voit. La matière sensible semble donc vouée à une double extériorité. Elle est hors d’elle-même pour une perception qui demeure extérieure. Mais, à son tour, cette perception appartient à une pensée qui est hors de soi, sensible là encore, mais au sens où l’on dit que l’on se trouve affecté par un corps extérieur.