AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Abacus (UK) [corriger]


Livres populaires voir plus


Dernières critiques
Nos cœurs disparus

Bien sûr il y a eu 1929 et 2008. Mais lorsque s’ouvre le roman, les Etats-Unis ont connu une nouvelle crise, peut-être pire encore que les précédentes. Son origine ? L’expansion économique de la Chine, dont l’hégémonie menacerait jusqu’aux fondements de la culture américaine. Tandis que les violences à l’encontre des personnes d’origine asiatique se multipliaient, une loi a été votée réduisant drastiquement les libertés individuelles dans le but affirmé de garantir la sécurité des citoyens. Eradication de tout élément anti-américain, contrôle du moindre fait et geste des individus, surveillance mutuelle en constituent l’arsenal…



De nombreux livres sont désormais retirés de la vente et des bibliothèques. Ainsi le recueil de poèmes de Margaret Miu a-t-il été interdit : sa teneur servait en effet de caisse de résonance aux poches de résistance qui apparaissaient ici ou là, élevant la jeune femme au rang de dangereuse dissidente. Au point de la contraindre à fuir son foyer, à quitter son mari et son fils alors âgé de neuf ans pour préserver leur sécurité.



Trois ans plus tard, alors qu’il ignore totalement ce que sa mère est devenue et pourquoi son nom a été proscrit du jour au lendemain, Bird reçoit un courrier apparemment anodin, contenant un dessin. Il y reconnaît immédiatement l’empreinte de sa mère et se met en tête de la retrouver…



On n’est pas loin de 1984 dans cette peinture d’une Amérique névrosée regardant tout élément exogène comme une menace. On y perçoit cette atmosphère oppressante où chacun doit surveiller ses propres mots et réactions pour ne pas prêter le flanc à toutes sortes d’accusations pouvant provenir de son voisin, de son professeur ou de son collègue. Bird subit une situation qu’il ne comprend pas. Pourquoi sa mère a-t-elle disparu ? Et, surtout, pourquoi son père lui-même refuse-t-il d’en prononcer le nom et est-il si prompt à la renier ? Le lecteur est d’abord captif de ce climat angoissant et n’a pas plus de réponses que l’enfant, jusqu’au moment où celui-ci part à la recherche de sa mère.



Céleste Ng offre alors au lecteur un autre point de vue, celui des opposants, et révèle la manière dont la résistance se saisit de minuscules brèches pour s’organiser. C’est sans doute l’aspect le plus inventif du roman, et le moment où celui-ci prend enfin son envol - la première partie m’ayant en effet paru un peu longue. Sans doute souffrait-elle par ailleurs du parallèle que l’on ne peut s’empêcher d’établir avec l’oeuvre d’Orwell… En la matière, ce dernier reste insurpassable.








Lien : https://delphine-olympe.blog..
Commenter  J’apprécie          40
Nos cœurs disparus

Il n'y a pas si longtemps, pour mettre fin à la Crise, le PACT a été voté. Cette « Loi sur la sauvegarde de la culture et des traditions américaines » a pris des proportions extrêmes et régit aujourd'hui tout le pays. S'exprimer ou agir contre les principes de cette loi font de vous des « éléments subversifs séditieux », des « traîtres », des « sympathisants pro-Chinois » (oui parce que les responsables de la Crise et du déclin des États-Unis sont la Chine principalement, et tout ce qui est "jaune" et a les yeux bridés plus généralement), des « tumeurs de la société américaine ». Et pour éviter que cette gangrène ne se propage, mieux vaut sortir les enfants de ces familles traîtres à la société... Genre de chantage en fait... Tu ne fais pas ou ne dis pas ce qu'il faudrait ? Attention à toi, on va t'enlever ton enfant...



Et c'est dans ce climat de peur constante, de racisme omniprésent, de répression, de surveillance et de délation que l'on va suivre le jeune Noah (ou Bird), âgé de 12 ans, vivant seul avec son père depuis trois ans, depuis la disparition de sa mère et dont il a hérité d'elle ses yeux bridés. Tout débute au moment où il reçoit un dessin de cette dernière et qu'il y trouve le message caché, lui indiquant comment la rejoindre, elle, la traître à sa patrie, activement recherchée par les autorités, et dont son poème « Nos cœurs disparus » est devenu l'emblème anti-PACT.



S'en suit pour Bird une quête vers celle qui lui manque et ne comprend plus, vers celle qui l'a abandonné et que l'on a obligé à oublier, vers celle dont la simple évocation de son nom est devenue tabou...



Quand on me parle d'un livre comme étant une dystopie, il ne me faut en général pas d'autres arguments pour qu'il finisse dans ma MAL [Montagne à Lire : terme ayant récemment remplacé celui de Pile à Lire, ou PAL pour les adeptes]. Ces livres de pure fiction mais à la consonnance (trop) réaliste font froid dans le dos, mais je ne peux sans cesse m'empêcher d'y revenir...



Froid dans le dos, c'est le cas de le dire ici. Puisque l'autrice n'a quasiment rien inventé, s'étant basée sur des faits qui ont réellement eu lieu et qu'elle n'a fait qu'extrapoler. Puisque ce sont les enfants qui sont menacés, intrinsèquement. Et c'est dans la peau de l'un d'eux que nous découvrons cette société américaine "fururiste" où se faire tabasser dans la rue, aux yeux de tous, et sans que personne ne lève le petit doigt, soit quelque chose de normalisé, pour peu que vous ayiez les yeux un peu trop en amande et la peau pas tout à fait blanche...



J'ai eu la chair de poule et les poils hérissés durant une grande partie de ma lecture. J'ai beaucoup aimé les protagonistes, petits et grands, pour qui j'ai ressenti toute la peur qu'ils vivent au quotidien. J'ai aimé leur courage, ressentir toute la colère, les doutes et l'incompréhension qui les animent. Je me suis accrochée à eux et n'ai relâché la pression qu'à la toute fin, alors même que rien ne se termine comme je l'aurais souhaité pour eux...



Tout est subtilement bien écrit, de manière plutôt doucereuse d'ailleurs, allant à contresens de ce qui nous est raconté. Sans violence aucune, tout est dans la tension, l'oppression et la peur. Le climat est suffocant, pesant, angoissant peut-on dire, et constamment palpable.



J'ai beaucoup aimé endurer toutes ces sensations, sans doute parce que l'humain n'est pas oublié pour autant. On s'accroche aux relations entre les protagonistes, de celles qui ne permettent pas d'oublier qui on est, de quoi on est fait, de quoi on est capable. La relation entre le père et le fils, entre la mère et le fils, entre les deux amies qui ont mené leurs premiers combats ensemble, entre les deux ados qui se retrouvent l'un dans l'autre, tout ça met du baume au cœur et nous aide à supporter ce système de contrôle sociétal par la peur et le chantage sous-jacent.



La seule chose à regretter, c'est l'absence de typographie censée marquer les dialogues – encore une fois ! C'est un effet de mode qui m'agace au plus haut point. Mais bon, au moins, ici, on va à la ligne à chaque fois, c'est déjà ça... On repère donc les dialogues plus facilement que quand ils sont tous mélangés dans un même paragraphe avec le reste de la narration... Mais ça n'empêche que ça me gave...



Ça n'en est pas moins un roman poignant et prenant, dystopique sans trop l'être, à la fois oppressant et tout de grâce, sur « l'art guérilla », la révolte sans violence, sur le pouvoir des mots, des livres et de la poésie.

Commenter  J’apprécie          7312

{* *}