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Critique de Christophe_bj


Claire, Antoine et Paul Eriksen viennent de perdre leur père. Ils sont réunis avec leur mère dans le pavillon familial de la grande banlieue parisienne pour les funérailles. Il y a aussi Stéphane, le mari de Claire, et leurs trois enfants. Claire est infirmière, Antoine a un poste dans la finance et Paul est cinéaste et dramaturge. Dans ses oeuvres, ce dernier n'a cessé de mettre en scène sa famille, en déformant souvent la réalité pour construire les histoires qu'il souhaitait, en faisant notamment passer ses parents pour plus prolétaires qu'ils ne l'étaient. ● J'ai beaucoup aimé ce roman d'Olivier Adam, découpé en trois actes et en scènes comme une pièce de théâtre, qui m'a paru très sensible, et qui pose avec justesse et pertinence les rapports d'un créateur amateur d'autofiction avec sa famille et les dégâts qu'il peut y perpétrer. ● Dans ce huis-clos familial, les trois frères et soeur prennent alternativement en charge la narration, comme c'est souvent le cas désormais, mais c'est fait avec subtilité et cela rend le récit plus intéressant, car on se rend encore mieux compte des relations complexes au sein de la fratrie, faites de malentendus mais non exemptes d'une tendresse qui ne peut s'exprimer. ● le point central est que Paul veut se faire passer pour un « transfuge de classe », notion mise à la mode par Edouard Louis et avant lui par Annie Ernaux ou encore Didier Eribon : « C'était quand même curieux, ce truc avec les artistes et les écrivains dans son genre, les ‘transfuges', comme ils se nommaient eux-mêmes… Cette manie qu'ils avaient de vomir sur l'endroit d'où ils venaient tout en se vantant d'en être issus. Cette survalorisation systématique des attraits et des mérites de la bourgeoisie intellectuelle. Ce dénigrement constant, cette infériorisation méthodique des classes moyennes et populaires. ». ● J'ai trouvé que le problème du « transfuge » était très bien posé, d'autant que le personnage de Paul se réinvente en tant que tel, qu'il n'en est pas vraiment un. ● Cela lui permet de parler des classes populaires sans les connaître vraiment, avec des gens qui ne les connaissent pas non plus mais s'en gargarisent et se complaisent à être du côté des bien-pensants. Toute cette petite élite s'autocongratule sur le dos de gens qu'ils méconnaissent et qu'en définitive ils méprisent peut-être encore plus que les autres. ● « Ce que j'aimerais surtout savoir, c'est combien il a touché pour faire ses trucs sur la dignité du monde ouvrier », se dit son frère Antoine, libéral décomplexé, victime toutefois du management inhumain de son entreprise qui lui laisse à peine le temps d'aller enterrer son père. ● le deuil est aussi bien abordé (l'ellipse de l'enterrement est particulièrement opportune) : « Je le perdrais de nouveau chaque fois que je me souviendrais qu'il était mort. Chaque fois que j'y repenserais après l'avoir oublié pendant quelques heures. Chaque fois qu'il me faudrait me le répéter pour l'intégrer. Chaque fois que je réaliserais qu'il ne serait plus jamais là. Et que c'était définitif. Sans recours. » ● le personnage d'Emma, la fille adolescente de Claire, passionaria anti-boomer et pro-Thunberg aurait pu être développé, mais sans doute Olivier Adam n'a-t-il pas voulu se disperser : « Un peu plus tôt dans l'après-midi, j'avais balancé une petite blague sur les bienfaits du réchauffement climatique et ça n'avait pas du tout fait rire Emma. Elle faisait partie de ces jeunes biberonnés à la collapsologie que la catastrophe environnementale en cours hantait du matin au soir, persuadés que d'ici dix ou quinze ans la terre serait invivable et que des vieux cons dans mon genre les privaient d'avenir. » ● Ce n'est pas pour autant un plaidoyer pro-beauf, le roman est plein de subtilité et le personnage de Stéphane, cadre commercial, en prend pour son grade : « En toutes choses il s'en remettait aux spécialistes, aux testeurs, aux avis autorisés. Confrontait les notes. Évaluait les évaluations. Et une fois le choix effectué, s'estimait satisfait parce qu'il était statistiquement censé l'être. » ● La fin est un ultime pied-de-nez (attention, lecteurs sur Kindle, on vous propose de noter l'ouvrage avant qu'il ne soit réellement fini ! Il faut fermer la page de notation et tourner la page !) pour un roman que j'ai beaucoup aimé et que je recommande, un des meilleurs de cette rentrée littéraire !
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