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Critique de CeCedille


Une grande cause, un procureur courageux, un procès interminable, jusqu'à ce que justice soit enfin rendue! Tous les ingrédients d'une « affaire ». Et pourtant, celle-ci est restée enfouie dans les grimoires jusqu'à une vente publique à Drouot en 2005. Une centaine de documents poussiéreux achetés par l'État pour 2100 euros, qui révèle l'histoire de l'esclave Furcy de l'île Bourbon (La Réunion), qui demande sa liberté au tribunal de Saint Denis. Il est né libre, d'une mère libérée. Celle-ci, indienne de Chandernagor, achetée à neuf ans, a accompagné ses maîtres à Lorient. Or, selon l'ancien adage, « nul n'est esclave en France », même sous l'Ancien Régime. Son retour à la Réunion sur la plantation ne pouvait la priver, ainsi que son fils, de leur nouvel état. Joseph Lory, le nouveau maître auquel ils ont été légués ne l'entend pas ainsi. Il considère la démarche juridique de Furcy comme subversive. D'autant que son esclave a trouvé un allié inattendu en la personne du procureur général Gilbert Boucher et de son jeune substitut Sully Brunet.

Joseph Lory est un homme d'influence, soutenu par le plus riche propriétaire sucrier de l'île (Desbassayns de Richemont, commissaire ordonnateur général de la Réunion) fils de la célèbre et redoutée Madame Desbassayns. Un combat juridique s'engage qui est celui du maintien de l'esclavage dans une île dont l'économie en dépend. Et l'histoire est exemplaire d'un fonctionnement judiciaire (mesures de rétorsion contre le plaignant, pressions sur les magistrats, manoeuvres dilatoires qui feront durer la procédure vingt sept années).

L'ouvrage que Mohammed Aïssaoui, journaliste au Figaro Littéraire, consacre à cette histoire est passionnante. Sa démarche est celle d'un chroniqueur minutieux qui reconstitue, autant que faire se peut, les pièces d'un puzzle. Car on ne sait que peu de chose de Furcy. L'histoire de l'esclavage est une histoire sans archives et les siennes sont lacunaires. le récit ne cache pas ses limites.
Il ne faut pas chercher non plus de grâce littéraire à cette enquête, conduite de bonne foi et avec modestie. En revanche il y a là une fine investigation historico-journalistique, en forme de lecture commentée des pièces d'un dossier judiciaire passionnant. Et combien révélateur ! La société coloniale s'y dessine en creux, fidèle à elle-même, dans la défense cynique de ses intérêts.
Le pouvoir politique apparaît dans sa continuité, ennuyé par les requêtes des riches familles coloniales, auxquelles il finit tout de même toujours par céder.

Les historiens aimeraient sans doute que le livre soit accompagné d'un appareil critique, avec en annexe les archives citées. On s'interroge sur les conditions de la poursuite de la procédure menée par Furcy, après que Boucher ait quitté l'île. Restent en suspens bien d'autres questions. Mais le récit est attachant, édifiant et captivant. Il faut remercier Mohammed Aïssaoui de l'avoir reconstitué avec ferveur. le livre a reçu le prix du roman historique 2010 dans le cadre des "rendez-vous de l'Histoire" à BLOIS, et prix Renaudot de l'essai 2010.
Lien : http://diacritiques.blogspot..
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