« le roman est un mensonge qui dit toujours la vérité ».
Jean Cocteau.
Avec cette citation d'ouverture, le voile sur le contenu est levé.
Un « roman » qui restitue la mémoire du père, Rami, né en 1944 à Falloujah dans un Irak monarchique, par son fils, Euphrate, né en 1980 à Paris, dans une république, la Vème du nom.
Depuis son arrivée en France en 1972, ce père maintenait cadenassées les 28 années de son parcours de vie dans son Irak natal et jamais une bribe de son enfance, de sa famille, de ses amis, de ses convictions politiques ou religieuses et de ses activités ne furent confiées à ses enfants : « c'est trop compliqué », ainsi se justifiait-il.
De France, il suivait les diverses convulsions qui martyrisait le pays lointain ; nombreuses, rapprochées, sanglantes et dévastatrices. Durant la guerre contre l'Iran, il dira des belligérants Khomeini et
Saddam Hussein : « Abna el kilab, fils de chiens ». En 1991, suite au bombardement massif du pays par l'opération « tempête du désert » pour mettre fin à l'occupation du Koweït, Rami commencera à boire de façon excessive : « mon père se mit à boire une bouteille de vin tous le soirs ». Dès 1995, l'embargo a isolé le pays et ses habitants dans la misère et la débrouille jusqu'à la catastrophe (jamais punie) du mensonge américain en 2003 et la neurasthénie de Rami.
Arrive alors le questionnement de l'enfant sur son identité. D'où suis-je, où est-on chez soi ? Cette recherche d'identité est intrinsèque à l'humain. Pour les déracinés, les immigrés, les hors-sols, la quête est souvent leur chemin de croix, jusqu'à transmettre à leurs enfants une empreinte d'appartenance au pays, comme si l'imprégnation était atavique et indélébile. Etrangement, les descendants se ressentent étrangers dans leur pays de naissance et la souhaiteraient là bas, s'exprimant de la sorte : « dans mon pays », celui quitté par le parent. Ainsi réfléchit Euphrate, malgré tout déchiré par une fragmentation de sa personnalité en devenir : l'admiration inconditionnelle au père, et la honte qu'il porte à ses différences. La honte du mal parler, la honte de l'emploi instable, le mensonge sur le questionnaire identité-emploi des parents demandé à l'école… page 78 « aussi loin que je m'en souvienne, trois sentiments étroitement liés m'accompagnèrent dès mon plus jeune âge : l'anormalité, le mensonge et la solitude ».
Et puis, un peu de stabilité en Irak permettra aux enfants et à leur mère (sans Rami), d'aller visiter la famille en 1989. Un choc culturel et social pour l'enfant de 9 ans qui déambule avec ses baskets Reebook pump dans les rues d'un pays exsangue après 8 années de guerre contre l'Iran. Euphrate s'imprégnera de la matrice paternelle. Il ira chercher les informations à la source, là-bas, à Falloujah et à Bagdad car d'autres voyages suivront. Nous apprendrons ainsi sous la plume du fils devenu narrateur que Rami était un enfant timide et solitaire qui a souffert de la perte de sa mère aimante à 8 ans, puis subira les humiliations d'une belle-mère cruelle et malveillante dans le silence absolu du père, démissionnaire et soumis. Il connaitra les différents soubresauts politiques du pays. Une première fois le 14 juillet 1958 quand le général Qassem et ses partisans mobilisent des troupes de l'armée irakienne pour déclencher un coup d'État qui va renverser la monarchie hachémite et instaurer une république, tendance communiste. Une deuxième fois, lorsque ce même général sera assassiné en février 1963, après un coup d'état fomenté par le parti Baas. Ce parti qui prend le pouvoir, devient tyrannique, interdit le parti communiste, pourchasse ses membres, les emprisonne et les supprime. Militant trotskiste, Rami rejoindra la France après un passage par les geôles irakiennes du régime répressif de
Saddam Hussein.
1972-2019, français sans l'être vraiment, Rami se meurt d'un cancer des poumons, et, de façon simultanée, il perd la mémoire, celle qui le relie à sa vie d'immigré en France. Alors, une conversation en miroir s'établit entre le père et le fils, chacun déroulant à l'autre sa partie du parcours, solitaire ou commun pour opérer la jonction, celle qui unit l'ensemble.
La construction du livre ressemble à celle d'un puzzle que l'on assemble. le contenu d'un paragraphe correspond à une époque, en France ou en Irak, sans chronologie, ce qui induit parfois de la confusion pour la compréhension.
Cependant, retenir de ce livre le récit-hommage à un père exilé, banni, humilié, qui porte la charge permanente des affronts subis, jusqu'à s'oublier ! Un ouvrage qui me rappelle l'émouvant témoignage de
François Cavanna dans son livre : «
les Ritals », magistral !
Livre offert par Babelio masse critique.