— J’ai tout de même l’impression qu’à part la pêche au canard, il n’y a rien qui ne prenne pas le client pour un pigeon.
Papa rit légèrement.
— C’est exactement ce que disait ta mère quand on allait dans les fêtes foraines… Et c’est pour ça qu’elle choisissait toujours le tir à la carabine !
Marie…
Simplement, j’étais un peu effacée, timide, je n’osais pas m’imposer dans les conversations de groupe, encore pire que maintenant, et lorsque enfin, on me parlait, j’étais arrogante sans le vouloir.
Bon sang…Je fonce vers la salle de bain pour me passer un peu d’eau froide sur les yeux. Je regrette déjà de m’être laissée aller, Après des semaines à leur avoir offert un visage plus ou moins impassible, à m’être construit une image de jeune fille sage, à m’être planquée sous les draps le soir pour craquer en silence, voilà que je viens de leur livrer sur un plateau un de mes gros points faibles. « Si vous voulez me blesser, voilà l’endroit où il faut appuyer. » Mais quelle idiote.
C’est très gentil à vous, merci, je lui réponds sur le ton de bonne élève que j’avais l’habitude d’user avec mes profs de lycée.
Au moins, je comprends un peu mieux les hésitations de Marie Curie quand elle a terminé ses études : elle pouvait rentrer au pays, encore sous occupation russe, ou s’installer avec Pierre Curie en France et choisir son cœur et l’amour de la science. J’ai l’impression de me retrouver devant le même type de dilemme aujourd’hui.
Non, ça ne peut pas être vrai. Je ne peux pas m’être réveillée ce matin en pensant programmer un peu et mater une série pour faire passer mon mal de crâne, et finir quelques heures plus tard pourchassée par le MI6 avec la menace de devoir travailler pour l’Angleterre la moitié de ma vie. C’est absurde.
J’ai du mal avec cette approche. Pourquoi un génie de la physique comme Einstein n’aurait pas pu, dans des circonstances différentes, devenir un génie de la musique ? Ou simplement un type lambda, comme un comptable. Cette idéologie entièrement basée sur le potentiel ADN qui néglige l’expérience me met mal à l’aise. A ce train là, on serait entièrement ou presque déterminés par notre matériel génétique, et à quoi bon faire des efforts ou s’intéresser à des domaines dans lesquels on n’est pas censés exceller. D’un autre côté, je ne peux pas ignorer le fait que, comme Marie Curie, je suis très douée en maths et en physique, et attirée par les sciences.
Oui, c’est ça, notre éducation est calibrée pour exploiter nos points forts. Or il se trouve qu’ils sont déjà connus grâce au détenteur originel de notre ADN.