Mümtaz m’apporta les textes. Ils parlaient de milliers de personnes enfermées en prison, de pauvres gens au chômage, de pressions politiques, de souffrance, d’oppression. C’était comme si j’avais ouvert le couvercle et que la vie réelle sortait de sa boite, un autre monde, une autre vie. Elle ressemblait à cette chose qu’on appelle « l’Enfer ». Des gens s’immolaient en pleine rue pour protester contre la famine, des pères de famille ruinés se suicidaient avec femmes et enfants en ingérant du cyanure, chaque jour, n’importe où, des milliers de femmes émancipées étaient assassinées par des hommes aux mœurs primitives, des enfants affamées mendiaient dans les rues, les jeunes fuyaient le pays, des maisons étaient perquisitionnées à l’aube, la police arrêtait les opposants, les usines fermaient, les ouvriers étaient jetés à la rue sans même récupérer un centime au passage, et tout cela était recouvert par la chape de plomb d’un terrifiant silence.
La mort ne fait pas peur à ceux qui meurent, mon garçon. La vie et la mort s’arrêtent ensemble quand on meurt … Seuls les vivants ont peur de la mort.
Les gens n’ont plus d’argent, et ceux qui en ont s’y agrippent farouchement, vu les circonstances : tout le monde a peur du lendemain.
Une femme ne sait pas si elle heureuse, elle sait en revanche très bien ce qui manque à son bonheur.
Le poids de ce que j’avais vu, appris, vécu, pesait parfois si lourd que je me sentais épuisé comme un vieillard (…) Cela me déprimait parfois jusqu’à en tomber malade. Alors j’allais à la bibliothèque lire des romans.
La littérature était plus réelle, sans doute et plus passionnante que la vie. Elle n'était pas plus sûre, sans doute même plus dangereuse, et si certaines biographies d'auteurs m'avaient appris que l'écriture est une maladie qui entame parfois sérieusement l'existence, la littérature continuait de me paraître plus honnête que celle-là. " La littérature est un télescope braqué sur les immensités de l'âme humaine", avait dit notre professeur d'histoire littéraire, monsieur Kaan.
Or cette peur de l'avenir que je sentais chez presque tous ceux qui m'entouraient était précisément le lien qui nous unissait, le sentiment partagé qui faisait de nous une communauté.
On parlait de littérature, de philosophie, d'histoire, de mythologie... C'était notre refuge, les histoires du passé comme un médicament contre les malheurs du présent.
Grâce aux écrivains, nous voyons dans la littérature ce qui dans nos vies nous échappe. Et en retour nous, lecteurs, témoins de leur incapacité à vivre une existence normale, pardonnons aux écrivains leur puissance créatrice, dans un mélange ambigu d'admiration et de sourde colère.
N'aie pas peur Marc Antoine… Il ne faut avoir peur de rien dans la vie...La vie ne sert à rien d'autre que d'être vécue. La stupidité, c'est d'économiser sur l'existence, en repoussant les plaisirs au lendemain, comme les avares.(P.112)