Citations sur Lefeu, ou, la démolition (16)
On comprendra alors qu’un faciès gris sur lequel l’âge a apposé, voire gravé ses rides avec le plus grand art peut être plus beau qu’un visage jeune aussi lisse que le marbre, vers lequel, comme on le sait, les yeux et les cœurs se tourneront d’abord.
On peut ameuter la presse, pas la télévision, elle est aux mains du gouvernement.
Le simple fait de dire non – non au projet de démolition de la maison, non à l’affectation dans un immeuble à appartements aux abords de la ville et même à la compensation financière substantielle qui permettrait sans doute que le champagne coule à flots dans la chambre le matin – le seul fait de dire non n’est pas un acte de Résistance. Dans la plupart des cas, et notamment celui dont il est question ici, ce n’est rien d’autre qu’un retrait, une fuite, une vague consolation.
Celui-qui-dit-Oui n’est pas libre dans sa liberté : il accepte délibérément – il assume ! -que la réalité ait le dernier mot, et de ce fait il renonce à la souveraineté du moi, dernier retranchement et garde-fou de “celui-qui-dit-Non”. Mais ce que “celui-qui-dit-Oui” ne peut savoir, c’est si l’Histoire inaugure vraiment une époque et si certains courants coulent avec une impétuosité réelle, ou bien si à l’inverse il est le jouet d’une simple mode.
Mystification de la parole, on ne se laisse pas aussi aisément duper par elle. Ote-t-on ses voiles au langage quand on prend ses métaphores au pied de la lettre, quand par exemple les choses qui viennent le font au propre et non au figuré, et que l’on se représente ce qui ne peut pourtant se produire dans les faits, à savoir que le chevalet et la lettre et les murs et le lavabo se mettent en route et viennent palper Lefeu étendu ou tapi sur sa couche défaite – dé-faite et non par-faite !
Les objectifs de la langue ne se situent plus dans la sphère linguistique, mais au-delà de la langue : dans l’espace social où les non-pensées ne cohabitent plus aussi aisément et où toutes ces choses qui constituent, prises ensemble, ce que nous appelons réalité, s’entrechoquent durement.
Nier le monde ne signifie pas s’en détourner. Je me détourne, je tourne le dos à un monde de telle ou telle nature et me retire dans notre grotte haut perchée, je peux expliquer tout cela dans des phrases sensées et, si je suis d’humeur à le faire, je puis aussi le justifier. Mais je ne peux pas dire que le monde auquel je montre mon derrière, n’existe pas.
Les Allemands ne font pas seulement de bonnes voitures ou une musique électronique rébarbative : jadis ils avaient la parole, mais ils ne l’ont plus, ils croient que le temps de la parole est révolu, dommage, dommage.
Il n’y a pas de biens qui soient sacrés ni de valeurs artistiques qui soient éternelles.
On ne sait jamais, le marché de l’art est une cour des miracles de la hausse et de la baisse. Ça ne plaît pas ? C’est sinistre ? On ne peut pas bouffer de la merde et chier de l’or...