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Critique de Antyryia



Pour évoquer ce roman que j'ai adoré, une fois n'est pas coutume, c'est une chronique à quatre mains que je vous propose. En effet, j'avais beaucoup de questions à poser à Amélie suite à ma lecture, et elle a eu l'amabilité de me répondre. C'est donc cet entretien que j'ai l'honneur de vous restituer.

Antyryia :
- Bonjour Amélie, et merci beaucoup de m'accorder un peu de votre temps pour évoquer votre nouveau roman, Aux quatre vents.
La première question que j'ai envie de vous poser concerne son idée de départ. Il s'agit après Ernest et moi de votre seconde collaboration avec l'illustrateur Jack Koch, mais cette fois l'histoire ne s'adresse pas aux plus petits. En lisant l'introduction, on comprend que Jack Koch a imaginé un village abandonné aux maisons dépourvues de portes et de fenêtres, une image et un début d'histoire qui le hantait et à laquelle vous avez insufflé une vie, des personnages, un contexte. Quelles étaient les idées à respecter pour la base de cette histoire si originale et comment avez-vous su finalement vous l'approprier ?

Amélie Antoine :
- En effet, Jack portait en lui, depuis très longtemps, l'histoire d'un petit village auquel un mystérieux inconnu s'attaque en rachetant maison sur maison dans l'unique objectif de retirer leurs portes et leurs fenêtres, laissant ainsi tout ouvert aux quatre vents... C'est cette histoire dont il m'a raconté les grandes lignes, en quelques minutes à peine, lors d'un salon du livre où nous nous trouvions tous les deux. Et la vérité, c'est qu'il lui a suffi de quelques mots pour que les images s'imposent aussitôt à mon esprit.
Il ne s'imaginait pas écrire cette histoire un jour ; je n'imaginais pas qu'elle puisse ne jamais exister, ne jamais être lue. C'est ainsi qu'Aux quatre vents est né. J'ai proposé à Jack d'écrire cette histoire, tout en l'avertissant du fait qu'à la fin, le roman que j'aurais construit ne ressemblerait sans doute absolument pas à ce qu'il avait ébauché. Il m'a répondu que j'étais entièrement libre.
Et je l'ai été. Nous n'avons pas échangé durant les mois de recherches, puis d'écriture de cette histoire. Ce n'est que lorsque j'ai eu achevé le premier jet du roman que je le lui ai fait lire (avec beaucoup d'angoisse et d'appréhension !), en espérant avoir été à la hauteur de ce qu'il avait imaginé.
C'est un peu comme si Jack avait bâti les fondations d'une maison, me laissant ensuite une totale liberté pour changer les plans, ériger les murs, choisir les différentes pièces, imaginer la décoration.

Antyryia :
- le Pas-de-Calais est le département français qui comporte le plus de communes, parmi lesquelles Aire-sur-la-Lys, Sailly-sur-la Lys, Calonne-sur-la-Lys. Citons également dans le Nord Erquinghem-Lys ou Lys-lez-Lannoy.
Affluent de l'Escaut, la rivière de la Lys a également donné son nom à la bataille de la Lys qui a opposé en 1940 les armées belges et allemandes. J'imagine qu'avoir choisi la commune fictive de Sabran-sur-la-Lys n'a donc rien d'une coïncidence au vu des principaux thèmes abordés ?

Amélie Antoine :
- Ce n'est pas une coïncidence, mais, à vrai dire, le choix réside surtout dans la localisation de ce village. Sabran-sur-la-Lys a beau être fictif, je pourrais tout à fait le situer sur une carte de France, car j'ai choisi son emplacement en fonction des événements historiques que j'abordais dans le roman...

Antyryia :
- Même si on reconnaît votre plume toute en nuances et sensibilité, Aux quatre vents diffère un peu de vos précédents romans dans le sens où il est beaucoup plus riche, plus dense également. Si on sent que la famille et ses dysfonctionnements sont des sujets qui vous tiennent toujours autant à coeur, c'est tout un village que vous avez imaginé cette fois, qui plus est à quarante ans d'écart : Pendant les années 1940 et l'occupation allemande, et en 1985 avec de nombreux habitants toujours bien présents, bien plus âgés évidemment. Comme on peut l'imaginer dans ces petites bourgades, le maire, l'institutrice ou le curé sont toujours les mêmes, les commerces ont souvent été repris par les enfants.
Le processus d'écriture a-t-il été très différent ? Et surtout, considérez-vous que ce roman marque un virage dans vos écrits ?

Amélie Antoine :
- Ce qui a été très différent pour moi, c'était d'écrire un roman qui ne soit pas contemporain. Chose dont je ne me serais jamais cru capable, pour être honnête. Il m'a fallu des mois de recherches et de documentation, non seulement pour détenir les connaissances dont j'avais besoin sur la Seconde Guerre mondiale, mais aussi et surtout pour m'imprégner de ce que devait représenter un quotidien dans les années 1940, en temps de guerre, sous occupation allemande. Il m'a fallu m'immerger dans un univers, une époque que je n'ai évidemment pas connue. Ce travail-là était nouveau pour moi, même si j'ai l'habitude de beaucoup me documenter pour chacun de mes romans.
Je ne pense pas qu'Aux quatre vents marque un virage car le manuscrit que j'ai achevé il y a quelques temps est à nouveau un roman contemporain, qui aborde (encore !) les thèmes qui me sont chers : les relations familiales, les secrets, les non-dits, le deuil...

Antyryia :
- Peut-être plus encore que d'habitude, ce livre n'entre dans aucune case prédéfinie dans cet environnement littéraire actuel formaté qui veut toujours coller des étiquettes pour chaque écrit. Selon moi Aux quatre vents mêle avec beaucoup d'habileté différents genres. Il commence avec une atmosphère quasi surnaturelle de village hanté, progressivement privé d'identité, avec toutes ces maisons rachetées à prix d'or par un homme mystérieux. Ceux qui cèdent aux sirènes de ses offres généreuses semblent d'ailleurs signer un pacte avec le diable.
Par ses métaphores et sa symbolique j'ai aussi parfois eu l'impression de lire une fable, un conte cruel. Et parfois au contraire un roman se voulant le plus réaliste possible. Alternant entre différentes époques, et notamment l'occupation allemande, c'est parfois un roman historique que j'ai eu entre les mains ( mais en aucun cas un roman de guerre, même si celle-ci est une indispensable toile de fond. )
Il y a aussi tout un aspect enquête, que ce soit celle de Léa , juive protégée dans sa tendre enfance par les habitants de Sabran-sur-la-Lys, qui veut comprendre les intentions cachées de ce monstre qui anéantit leur village, ou celle menée par le détective allemand Wilhelm Döderlain. J'ai pensé aux suspenses psychologiques, tant le portrait des personnages est travaillé avec finesse, tant on a envie d'avancer rapidement dans la lecture pour percer les secrets de Sabran-sur-la-Lys, avec cette façon également de ne jamais laisser aucun détail au hasard, aussi inaperçu puisse-t-il passer initialement.
Certains passages très durs, qui hélas ne sont pas le fruit de votre imagination, peuvent également faire penser aux romans noirs, de ceux qui bouleversent et serrent la gorge d'une émotion difficile à contenir. Et puis il y a une petite place pour une histoire d'amour également même si l'eau de rose n'est pas vraiment de circonstance.
Si on vous forçait à choisir parmi ces cases restrictives, lesquelles choisiriez-vous ?

Amélie Antoine :
- Voilà une question bien difficile, tant je suis toujours incapable de ranger mes romans dans une case précise... Ce que j'aime, c'est insuffler la vie à des personnages, les façonner au point d'avoir moi-même l'impression qu'ils existent vraiment. Ce qui me tient à coeur, c'est de raconter une histoire, sans chercher à savoir quelle étiquette on pourra bien lui coller ensuite...
Aux quatre vents est un roman réaliste, c'est certain, même si ce n'est pas une case très restrictive. Et, comme tous mes romans, une histoire qu'on qualifie je pense de « psychologique », parce que ce qui m'intéresse, c'est de travailler sur l'être humain. Ses failles, ses ambitions, ses doutes, ses mensonges, ses choix...

Antyryia :
- Faire revivre l'occupation allemande dans cette petite commune a du vous demander un travail de recherches énorme comparé à d'autres de vos oeuvres plus modernes et davantage axées sur la psychologie de ses personnages. Comment avez-vous procédé ? J'ai également cru comprendre que pendant la réaction de votre roman, votre complice littéraire Solène Bakowski achevait quant à elle la rédaction de Rue du rendez-vous, qui évoque également l'occupation allemande, à Paris cette fois. Même si elle sert l'histoire différemment, on retrouve d'ailleurs dans vos romans respectifs une scène similaire d'une cruauté sans nom dévoilant toute la bêtise et la lâcheté d'une France libérée.
Est-ce que vous avez du édulcorer la barbarie de certains faits historiques que vous avez lus ou dont vous avez eu le témoignage ?

Amélie Antoine :
Pour me documenter, j'ai lu, pendant plusieurs mois, énormément d'ouvrages traitant de la Seconde Guerre mondiale. J'ai visionné des documentaires, j'ai rencontré une historienne, j'ai fait des recherches plus précises et poussées sur certains événements abordés dans Aux quatre vents (la rafle du 11 septembre 1942, l'opération Greif, la libération du nord de la France, etc). J'ai aussi eu besoin de (re)lire certains témoignages ou romans consacrés à l'occupation allemande. J'ai passé du temps, également, à (re)voir un certain nombre de films, en particulier pour m'imprégner de l'époque. J'ai regardé toutes les saisons d'Un village français, également, pour le plus grand bonheur de mon conjoint ;)
Effectivement Solène et moi avons choisi d'écrire un roman évoquant la même période de l'histoire, et nous ne l'avons découvert qu'à la sortie de Rue du rendez-vous. C'est bien la preuve qu'on est faites l'une pour l'autre, non ?
Quant à la véracité historique, je n'ai rien édulcoré, au contraire. La noirceur des êtres humains n'est pas quelque chose qui m'effraie ou qui me donne envie de détourner les yeux...

Antyryia :
- Comme pour chacun de vos textes, cette relative noirceur sert en réalité à délivrer un message. Tous les Allemands n'étaient pas là de gaieté de coeur et n'étaient pas des soldats nazis : Ils n'avaient tout simplement pas le choix s'ils ne voulaient pas être fusillés. A l'inverse, vous rappelez également que tous les Français n'étaient pas des anges et que les dénonciations des voisins au moindre prétexte étaient nombreuses.
Tout est toujours en nuances de gris, "Rien n'est jamais tout noir ou tout blanc" pour reprendre vos propres mots. Et comme vous savez si bien le faire, vous appuyez là où ça fait mal, en rappelant qu'il n'y avait pas les gentils Français et les méchants Allemands, que la réalité était bien plus complexe, même si la haine du Boche l'emportera longtemps sur la raison.
Pour autant de nombreux habitants de Sabran-sur-Lys n'ont pas l'esprit aussi étriqué, à l'exception de deux ou trois qu'on adore détester.
Ne peut-on pas imaginer derrière cette histoire un appel à la tolérance, au pardon, une incitation à éviter les amalgames ou à juger trop vite d'une personne en raison d'une mauvaise décision ?
Autrement dit, n'y a-t-il pas quelques chose d'universel dans ce roman qu'on pourrait ramener à la géopolitique et aux croyances d'aujourd'hui ?

Amélie Antoine :
Ça, je crois que c'est au lecteur de le dire... ! Effectivement, le « message » (même si message est pour moi un bien grand mot car je cherche avant tout à raconter une histoire et certainement pas à apporter une morale), est que rien ne peut jamais être manichéen. le monde est gris. Les gens sont gris. Tout est une question de point de vue, de période de vie, de relation à l'autre... Je ne juge jamais mes personnages, même ceux qui sont détestables... Ça paraît peut-être plus flagrant dans Aux quatre vents parce que l'histoire se passe en temps de guerre, mais c'est quelque chose qui soutient, je pense, l'ensemble de mes romans...

Antyryia :
- Quand Léa se révolte quant au sort des maisons éventrées, comme autant de lésions au village de son enfance, elle s'exclame "Au nom de quoi ?"
( chapitre 53 ). On sait que cette formule désespérée exprimant l'effarement et l'incompréhension totale vous tient particulièrement à coeur puisque c'est le titre que vous aviez donné au roman que vous aviez eu besoin d'écrire en hommage aux victimes du Bataclan. S'agit-il d'un hasard, d'un clin d'oeil ou d'une volonté de rapprocher les horreurs de la seconde guerre mondiale de celles du 13 novembre 2015 ?

Amélie Antoine :
- Je dirais qu'il s'agit d'un hasard, mais que le hasard fait parfois bien les choses et ne se prive pas de clins d'oeil inconscients... Car, effectivement, la barbarie de la Seconde Guerre mondiale n'est pas particulièrement éloignée de la barbarie actuelle qu'on voit chaque jour dans le monde...

Antyryia :
- Lorsqu'on parle de votre métier de plume, vous préférez l'appellation auteur, auteure ou autrice ?

Amélie Antoine :
Je botte systématiquement en touche en choisissant « romancière » ;) Tellement plus joli que les autres, non ?

Antyryia :
- J'ai eu l'excellente surprise de voir qu'en janvier était prévu un roman inédit, Pourquoi tu pleures ?, aux éditions Muscadier noir.
S'agit-il d'un des manuscrits longtemps resté dans un tiroir qui va enfin pouvoir sortir de l'ombre ? Si tel est le cas vous a-t-il demandé un long travail de réécriture ? Pouvez-vous nous en dire quelques mots, ou tout au moins révéler de quel livre publié vous le rapprocheriez le plus dans son histoire ou sa construction ?

Amélie Antoine :
En effet, il s'agit d'un roman noir que j'ai écrit il y a quelques années déjà, juste après Raisons obscures. Et je dirai qu'il est dans la même « famille » que Raisons obscures, d'ailleurs. Je l'ai entièrement retravaillé l'été dernier, en ajoutant un certain nombre de scènes et en creusant encore plus la psychologie des personnages. J'espère que cette histoire très sombre pourra percuter et happer ceux qui s'aventureront à la découvrir... Rendez-vous en janvier ?

Antyryia :
- Mille mercis Amélie d'avoir pris le temps de répondre à ces quelques question, pour votre gentillesse et votre disponibilité. J'espère que cet échange donnera envie aux lecteurs qui ne vous connaissent pas encore de vous découvrir, avec ce roman magnifique ou n'importe quel autre d'ailleurs. Je vous laisse le soin de conclure, de parler de vos futurs projets, ou de tout autre sujet vous tenant à coeur. Quant à moi je vais écouter de ce pas Tout ça ne vaut pas l'amour d'Esther Lekain !

Amélie Antoine :
Merci beaucoup :)
En ce qui concerne les projets futurs, il y a bien sûr un roman de littérature générale (contemporain, donc !) que j'espère voir sortir au second semestre 2023, mais aussi plusieurs romans jeunesse qui seront publiés en 2023 et que j'ai hâte de partager !

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