AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Cigale17


Dans un magnifique premier chapitre plein d'incertitudes, de questions et de poésie, Natacha Appanah nous parle du mystère que constituent les murmurations d'étourneaux, ce qui lui permet de commencer à s'interroger sur ce qu'est la mémoire. La Mémoire délavée nous propose une réflexion sur la mémoire et son fonctionnement autant qu'un récit sur les origines familiales. Entre 1834 et 1920, après l'abolition de l'esclavage, les colons manquèrent brusquement de main d'oeuvre et trouvèrent dans certains pays où la misère est endémique, l'Inde entre autres, une main d'oeuvre bon marché (très bon marché). On transporta cette main d'oeuvre en bateau, dans des conditions souvent épouvantables, là où le besoin se faisait sentir, dans les plantations de canne à sucre de l'île Maurice, par exemple. Les arrivants s'engageaient à servir pendant plusieurs années, d'où le nom de cette pratique, l'engagisme. Contrairement à ce qu'elle avait toujours cru (ou voulu croire, nous explique-t-elle), à savoir que c'étaient ses arrière-grands-parents qui étaient arrivés sur l'île Maurice au début du XXe siècle et qu'ils avaient rejoint une communauté déjà installée, elle découvre que ce n'est pas le cas. En 2022, elle entre en possession de trois fiches des archives qui lui prouvent que c'est le grand-père de son grand-père qui est arrivé le premier, dans les conditions que l'on connait, et non pas dans celles que sa mémoire lui renvoyait : « Mon esprit les a lavés, ces ancêtres, essuyé leurs visages, coiffé leurs cheveux, habillé de vêtements propres, éloigné des cales de bateaux et de la perspective du labeur quotidien des champs de canne. C'est une image presque proprette. C'est une mémoire délavée » (p. 30). Natacha Appanah possède bien peu de renseignements sur les deux générations qui ont précédé celle de ses grands-parents, mais elle s'attache ici à recueillir tout ce qu'elle peut. Elle retracera surtout la vie de ses grands-parents, toujours en s'interrogeant sur la mémoire et sur son étrange fonctionnement, avec ses détours, ses oublis, ses transformations, sa réécriture, en somme… Je reste sous le charme de l'écriture de l'autrice et de la forme qu'elle a donné à cet ouvrage. On y sent toutes ses interrogations, ses hésitations, ses doutes, son envie de transmettre des souvenirs « vrais » tout en étant consciente de la gageure. Elle s'interroge beaucoup sur la transmission volontaire des souvenirs et sur la mémoire transgénérationnelle, sans apporter de réponse, bien sûr, mais avec une sincérité et de fréquents retours sur soi qui m'ont infiniment touchée. Un très beau livre.

[Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de Elle de 2024]
Commenter  J’apprécie          580



Ont apprécié cette critique (57)voir plus




{* *}