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Un roman court mais intense en émotion et bouleversant, un livre qui m'a mise dans le questionnement. C'est avec pudeur, sensibilité, subtilité et poésie, que l'auteure ,nous laisse entrer, dans un pan de sa vie, la quête de ses origines. Elle remonte le cours de l'histoire , jusqu' à ses trisaïeux, surnommés les "Déplacés". Ces derniers , ayant quittés l'Inde, vers l'île Maurice pour travailler dans les plantations de cannes à sucre, une main d'oeuvre à moindre coup pour les exploitants. Des hommes et des femmes , marqués par un numéro pour pouvoir les identifier, eux qui pensaient retrouver un sens à leur vie, un retour à leur dignité ,
L'auteure voue un amour pour ses grands parents, principalement son grand père, cet homme fort qui a osé se rebeller face à cette situation, un homme qui dégage de l'empathie, L'auteure dévoile , son enfance, sa vie avec parents et ses grands parents, eux seuls pourront trouver, combler les réponses aux questions qu'elle se posait Un livre remarquablement documenté , une partie de l'histoire que je ne connaissais pas, le début qui commence par le vol d'étourneaux qui migrent comme chaque année, un reflet de l'histoire de l'auteure, à travers la migration de sa famille et également d'autres personnes, Tout est écrit avec une grande délicatesse
A lire de toute urgence.

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Le temps délave la mémoire, et souvent même, il la réécrit, en un palimpseste infini. Alors, comme pour la préserver en la fixant, Natacha Appanah en entreprend la traversée, explorant avec pudeur et tendresse la vie de ses aïeux jusqu'à sa propre enfance et retraçant, en même temps que l'histoire intime de sa famille, celle collective des engagés indiens à l‘île Maurice.


« Tant qu'il y aura des mers, tant qu'il y aura la misère, tant qu'il y aura des dominants et des dominés, j'ai l'impression qu'il y aura toujours des bateaux pour transporter les hommes qui rêvent d'un horizon meilleur. » Comme la poétique ouverture de son récit interroge inlassablement les indéchiffrables et éphémères motifs tracés dans le ciel par les nuées d'étourneaux s'élançant chaque année dans leur long voyage migratoire, cela fait vingt ans, depuis qu'elle a commencé à prendre la plume, que l'auteur revient, encore et toujours, sur les traces de sa propre histoire de migration. Ses trisaïeux, réduits à l'état de matricules - 358444, 358445 et 358448 pour leur fils – ont débarqués à l'île Maurice en 1872. Ils avaient emprunté cette route qui, de 1834 à 1920, devait mener à Port-Louis des centaines de milliers d'engagés indiens, aussi appelés coolies, pour pallier au manque de main d'oeuvre consécutif à l'abolition de l'esclavage. « Volontaires » contraints à l'exil par la misère, ces hommes et ces femmes qui rêvaient d'une vie meilleure se sont en fait retrouvés dans un système de servage dont bien des aspects évoquent, selon les historiens, ni plus ni moins qu‘une « nouvelle forme d'esclavage ». Celle-ci est simplement passée au travers des mémoires européennes, comme le constate l'auteur chaque fois qu'en France, où elle vit depuis ses vingt ans, on l'interroge sur ses origines.


Mais ce délavage des réalités historiques n'est pas le seul fait d'une mémoire collective sélective. Lorsque, au-delà des archives et des documents officiels par lesquels elle a commencé ses investigations, elle entreprend de recueillir les souvenirs familiaux, c'est au filtre très émotionnel de la transmission intergénérationnelle qu'elle se heurte. de leur vécu dans les plantations de canne à sucre, ses grands-parents ont toujours pensé protéger leur descendance en gardant leurs mots et leurs sentiments au plus secret d'eux-mêmes. Pour écrire sur eux, pour eux, il lui faut remonter patiemment le fil des souvenirs, ceux de sa propre enfance et ceux égrenés par ses parents et ses grands-parents au gré de résurgences aléatoires et fragiles, qu'avec une infinie délicatesse, elle assemble dans le touchant souci de leur rester fidèle.


« Il y a ces minutes étranges, gris-bleu, glissantes, quand le soleil s'en va et quelque chose venu du fond des âges remonte et se rappelle à nous. » Cette chose, Nathacha Appanah nous la fait toucher du doigt au travers de ses reflets mouvants et délavés, accomplissant un essentiel devoir de mémoire et adressant à ses grands-parents un hommage magnifique de sincérité et de tendresse.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Ce récit est un retour aux origines. A l'histoire familiale dans ce qu'elle a gardé grâce aux transmissions orales. Depuis l'arrivée des arrières grands-parents, père, mère et trois enfants, affublés d'un numéro d'identification et immédiatement affectés à une plantation pour un salaire de misère, permettant à peine de se nourrir. Et puis il y aura ce grand-père qui a osé la rébellion et a entrainé toute la famille dans la disgrâce.

De l'universel à l'intime, le récit célèbre la mémoire de ces ancêtres, mémoire en partie estompée par les non-dits et les erreurs volontaires ou non.

Hommage émouvant à ceux dont les vies ne comptaient guère pour ceux qui ne voyaient que le profit à tirer cette main d'oeuvre soumise.

160 pages Mercure de France 31 août 2023
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Dans un magnifique premier chapitre plein d'incertitudes, de questions et de poésie, Natacha Appanah nous parle du mystère que constituent les murmurations d'étourneaux, ce qui lui permet de commencer à s'interroger sur ce qu'est la mémoire. La Mémoire délavée nous propose une réflexion sur la mémoire et son fonctionnement autant qu'un récit sur les origines familiales. Entre 1834 et 1920, après l'abolition de l'esclavage, les colons manquèrent brusquement de main d'oeuvre et trouvèrent dans certains pays où la misère est endémique, l'Inde entre autres, une main d'oeuvre bon marché (très bon marché). On transporta cette main d'oeuvre en bateau, dans des conditions souvent épouvantables, là où le besoin se faisait sentir, dans les plantations de canne à sucre de l'île Maurice, par exemple. Les arrivants s'engageaient à servir pendant plusieurs années, d'où le nom de cette pratique, l'engagisme. Contrairement à ce qu'elle avait toujours cru (ou voulu croire, nous explique-t-elle), à savoir que c'étaient ses arrière-grands-parents qui étaient arrivés sur l'île Maurice au début du XXe siècle et qu'ils avaient rejoint une communauté déjà installée, elle découvre que ce n'est pas le cas. En 2022, elle entre en possession de trois fiches des archives qui lui prouvent que c'est le grand-père de son grand-père qui est arrivé le premier, dans les conditions que l'on connait, et non pas dans celles que sa mémoire lui renvoyait : « Mon esprit les a lavés, ces ancêtres, essuyé leurs visages, coiffé leurs cheveux, habillé de vêtements propres, éloigné des cales de bateaux et de la perspective du labeur quotidien des champs de canne. C'est une image presque proprette. C'est une mémoire délavée » (p. 30). Natacha Appanah possède bien peu de renseignements sur les deux générations qui ont précédé celle de ses grands-parents, mais elle s'attache ici à recueillir tout ce qu'elle peut. Elle retracera surtout la vie de ses grands-parents, toujours en s'interrogeant sur la mémoire et sur son étrange fonctionnement, avec ses détours, ses oublis, ses transformations, sa réécriture, en somme… Je reste sous le charme de l'écriture de l'autrice et de la forme qu'elle a donné à cet ouvrage. On y sent toutes ses interrogations, ses hésitations, ses doutes, son envie de transmettre des souvenirs « vrais » tout en étant consciente de la gageure. Elle s'interroge beaucoup sur la transmission volontaire des souvenirs et sur la mémoire transgénérationnelle, sans apporter de réponse, bien sûr, mais avec une sincérité et de fréquents retours sur soi qui m'ont infiniment touchée. Un très beau livre.

[Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices de Elle de 2024]
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Le drame et la grâce

Des photos de ballets d'étourneaux, images poétiques évoquant la migration,la transhumance organisée,l'histoire de ces coolies qui ont remplacé les esclaves noirs dans les champs de canne après l'abolition de l'esclavage. C'est ainsi qu'ont débarqué les ancêtres de Natacha Appanah dans une île à sucre,l'île Maurice. Ils portent des numéros et passeront toute leur vie dans la plantation,lieu d'asservissement du pouvoir colonial en place.Un monde oublié qui renaît par fragments, un statut figé,une mémoire délavée par le temps.
En évoquant cet exil volontaire, ces générations d'hommes et de femmes analphabètes mais riches de leurs traditions et de leurs croyances, l'écrivaine veut redonner une juste place aux siens et cherche ce qui est enfoui en questionnant ses grands-parents. D'une plume sensible,délicate et aimante,elle parle de ces vies minuscules qui ont ouvert la voie à une descendance qui a su voler vers d'autres horizons grâce à leur force et à leur courage. A travers les gravures et photos qui parsèment le champ des mots,on découvre,le coeur serré,ce qui fait une vie et comment le passé conditionne le futur.Un très beau récit dans la collection Traits et portraits.
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C'est un beau livre qui a été pensé je crois jusque dans le choix du papier, la taille et la police d'écriture, les photos choisies, en noir et blanc, pour un travail de mémoire qui compte.
C'est l'histoire du trajet migratoire des aïeux de Nathacha Appanah, quittant l'Inde en 1872 pour rejoindre l'île Maurice. C'est à Port-Louis qu'ils furent employés comme coolies et devinrent les « engagés » en remplacement des esclaves noirs et pour travailler dans les différentes exploitations et champs de cannes à sucre. C'est un témoignage et une réhabilitation qui tend à inscrire chacun des siens dans une lignée représentative restituée. Mais c'est surtout un somptueux drapé que Nathacha Appanah revêt aujourd'hui et dont chaque plis, texture, épaisseur la constitue elle-même en tant que personne à travers les générations. La douceur du récit nous mène en appartenance de cette famille par un lien affectif invisible et pourtant perceptible. L'envol se fait dès la première page.
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Voilà un joli texte sensible de la part de la grande autrice mauricienne Nathacha Appanah.

Après une belle introduction pleine de poésie pour évoquer le vol des étourneaux, métaphore des mouvements et des migrations que tant de peuples connaissent aujourd'hui, l'autrice évoque la mémoire de ses arrières-arrières-grands-parents, dont elle a retrouvé la trace par hasard.
« Il y a trois fiches aux archives de l'immigration indienne à l'institut Mahatma Gandhi, à l'Île Maurice. Ce sont celles de mes trisaïeuls et de leur fils, mon arrière-arrière-grand-père. Elles attestent de leur arrivée à Port-Louis, capitale de l'île qui est alors une colonie britannique, le 1er août 1872. »
Cent ans avant sa naissance, l'autrice redécouvre donc que ces « engagés indiens» ou ces »coolies »- c'est comme cela qu'on les nomme, et elle s'étonne que cette appellation ne soit pas plus connue – ont quitté leur village natal de Rangapalle, pour le port de Madras, et ensuite, selon une longue traversée, ont débarqués sur l'île Maurice.

Commence alors le récit des descendants de ceux-ci, jusqu'à la vie de ses propres grands-parents, qu'elle a bien connue. Une vie faite non pas d'esclavage (bien que se voyant doté d'un numéro en arrivant) mais bien de servitude auprès du maître pour qui la famille travaille dans les champs de canne à sucre.

Avec un très bel hommage à ce grand-père qui était à la frontière des traditions : d'un côté le respect à ses ancêtres indiens, avec leurs coutumes et leur art de vivre (notamment culinaire) et de l'autre l'intégration dans les traditions mauriciennes pour mieux s'assimiler à ses voisins.
Ce Grand-Père courageux s'opposa une fois à son contremaître, à juste titre, mais cela lui valut à lui et à son épouse enceinte un bannissement hors de la communauté à laquelle il appartenait dont il ne se remettra jamais. L'autrice verra toujours dans le comportement de ce grand-père qu'elle aimait beaucoup les traces de cet affront et les meurtrissures qui en résultèrent pour sa femme et ses descendants.

Beaucoup plus tard Nathacha sera incitée à oublier les coutumes ancestrales, à cultiver la langue locale, et ne saura plus grand-chose de ces traditions dans lesquelles ont baigné ses ancêtres : un cas fréquent de souhait d'intégration pour ses enfants, au détriment de la perpétuation de la transmission.

L'EXIL. Un thème central, dont on n'est pas prêt d'avoir fini de parler.
Un beau récit sensible et plein de tendresse donc pour les ancêtres de Nathacha Appanah, qui a trouvé sans doute sa vraie patrie : la littérature.
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« Je me demande combien il faut de générations pour qu'une peur disparaisse des mémoires ». P 51

Mais j'ajouterais volontiers : comment faire pour que justement ces mémoires ne s'effacent jamais, pour que nous n'oubliions pas la vie parcourue par nos ancêtres ?
Natacha Appanah a murement réfléchi la forme qu'elle choisirait pour coucher sur papier à la fois ses souvenirs d'enfance mais aussi tout ce qui touche à ses origines mauriciennes. Et c'est une réussite car son chemin parcouru pour remonter le fil du temps jusqu'à ses trisaïeux débarquants sur l'île Maurice en 1872 a été pour moi un féérique voyage à ses côtés.
La structure narrative fait qu'on ne s'ennuie jamais, qu'on la suit même lorsqu'elle saute d'une génération à l'autre, qu'elle revient en arrière ou qu'elle les mélange. Car tout est lié, imbriqué jusqu'à sa vie à elle. Elle est partie de l'île Maurice à l'âge de 6 ans, l'oublie parfois pendant des semaines, puis replonge dans des périodes de totale symbiose avec ses ancêtres.

Entre ses aïeuls de 1872 et sa mère les choses n'ont pas changé tant que cela. Cette dernière ne connaitra que tardivement son nom et son prénom, son identité même. Son grand-père était encore un « numéro » , identité donné pour les coolis travaillant dans les champs de canne dirigés par les blancs.
L'autrice essaie de retrouver ce qu'ils ont vécu autant que faire se peut car les souvenirs s'emmêlent, ne doivent pas toujours être dits, veulent être oubliés. L'histoire collective qu'elle imbrique dans le livre y trouve certes une bonne place, mais l'histoire même de sa famille restera bien plus ancrée dans ma mémoire. le vécu de cette famille me marquera bien plus que tous les livres d'histoire.

Que cette famille venue d'Inde en 1872, afin de remplacer les esclaves noirs, puisse avoir été autant exploitée, humainement diminuée et leur vie si discrètement traitée dans nos livres d'histoire-géo, ç'en est désolent, injuste, aussi méprisable que ce qui se passe actuellement encore dans plein de régions de notre planète.
Les journées de longs labeurs comme les moments de retrouvailles ont tous une profondeur palpable. Les transmissions volontaires et celles qu'on occulte consciemment, tout est retenu pour que Natacha Appanah, comme nous, ne les laissions pas mourrir de leur belle mort.

Dernier détail mais qui n'en est pas un, ce court mais hyper dense ouvrage est savamment parsemé d'illustrations anciennes qui le rendent plus perceptible, comme si l'autrice voulait tout nous donner, partager tout l'intime avec nous.

Citations :
« Tant qu'il y aura des mers, tant qu'il y aura la misère, tant qu'il y aura des dominants et des dominés, j'ai l'impression qu'il y aura toujours des bateaux pour transporter les hommes qui rêvent d'un horizon meilleur. »
« J'ai toujours été fascinée par la vie qui suit un sillon bien tracé et qui soudai, par la grâce d'un hasard, par le couperet d'un drame, devient extraordinaire. Mes grands-parents ont connu les deux - la grâce et le drame. »
« Quand elle ressentait des contractions, elle disait qu'elle se sentait fiévreuse et rentrait à la maison. Là elle accouchait toute seule, accroupie, sur une toile de jute. »
« Ce silence s'est aujourd'hui transformé en un bloc noir fait d'une matière indestructible, qui résistera au temps. Personne pour le briser avec des faits, personne pour l'éclairer de l'intérieur avec un témoignage, des sentiments. C'est une présence-absence. »
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Une lecture un brin décevante, sans doute parce que j'en attendais trop. J'aime lire des récits de quête des origines et j'apprécie beaucoup la plume de Nathacha Appanah. Côté plume, aucune déception, à commencer par le titre avec cette jolie image de mémoire délavée pour illustrer que la mémoire familiale ne peut être que sélective et oublieuse. Autre superbe image, dans les premières pages : la comparaison des migrations humaines avec des vols d'étourneaux. Sans compter de très belles pages sur ses grands-parents. En fait elle ne peut qu'affiner quelques précisions sur ses ancêtres (elle descend de coolies indiens embauchés pour remplacer les esclaves sur l'île Maurice). J'aurais aimé en apprendre un peu plus, pas sur ses ancêtres, a priori elle n'a rien trouvé de plus sur le plan personnel, mais sur l'origine des coolies, sur leur histoire sur l'île Maurice, … Mais cela aurait été plus oeuvre d'historien que d'écrivain ! Par contre il y a d'autres aspects, plus personnels, sur ce qui s'est transmis, ou pas : les langues indiennes, tardivement perdues, les croyances, les habitudes alimentaires, et surtout, la peur de l'eau. de belles pages encore, illustrées par des photos dont certaines m'ont semblé peu utiles. Ce n'est certainement pas le livre que je conseillerai pour découvrir l'auteur, mais cela reste une lecture agréable.
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"La mémoire délavée" est un magnifique album de famille proposée par Natacha Appanah dont les figures principales sont le grand-père et la grand-mère de l'auteure. Elle plonge dans ses souvenirs et ce travail intime qui débute par des réminiscences se transforme peu à peu en une évocation de plus en plus précise d'une jeunesse mauricienne avec une double éducation, celle moderne de ses parents et celle traditionnelle de ses grands-parents. Ce « roman » familial sera l'occasion pour quelques lecteurs de découvrir un point important mais méconnu de l'histoire coloniale, celui de l'engagisme. Au milieu du XIX° siècle, lorsque l'esclavage est progressivement aboli, l'économie coloniale, notamment l'agriculture et plus particulièrement la canne qui produit le sucre, le carburant de l'économie, doit compenser la baisse drastique de la main-d'oeuvre. Les décideurs d'alors mettent en place des contrats de travail qui sont proposés à des ouvriers des pays pauvres. La péninsule Indienne qui est déjà un réservoir démographique important fournira 85% de ce « prolétariat » à qui l'on fera miroiter des opportunités d'enrichissement. Les capitalistes contemporains dénoncés pour leur action prédatrice peuvent s'enorgueillir de puiser leur ADN dans cette exploitation éhontée de la misère. La communauté historienne est unanime à considérer que les conditions de vie de ces engagés et de leurs familles n'étaient guère plus enviables que celles des esclaves, à une différence notable : le statut d'homme libre. L'engagisme concerna 1 million 500 personnes dont un tiers vers Maurice. 120 000 travailleurs partirent aussi vers la Réunion et quelques dizaines de milliers vers la Guadeloupe et la Martinique. L'objet de ce livre n'est pourtant pas d'engager un débat mémoriel sur la responsabilité des empires et de leurs descendants. Natacha Appanah s'interroge sur les héritages culturels au sens large, sur les persistances de comportements liés à ce statut d'engagé, sur les conditions de ce déracinement sur les différentes générations. Qu'est-ce que l'on perpétue ? Qu'est-ce que l'on transforme ? Les réflexions de l'auteure, probablement étayées par une importante recherche documentaire ne bascule jamais dans la thèse historique mais s'efforce de maintenir le plus vivant possible le récit de cette transmission familiale. Les passages émouvants se succèdent mais l'espièglerie se niche parfois dans certaines anecdotes. L'écriture cristalline de ce court ouvrage ainsi que l'apport judicieux de photos de famille ou de documents aidant à la compréhension de cet essai, contribuent à l'émotion ressentie. Dans le débat actuel sur l'immigration, ce livre est un élément supplémentaire qui devrait permettre d'éviter les erreurs du passé. La circulation des populations qui cherchent ailleurs des conditions de vie meilleures n'est pas un phénomène contemporain, elle est inévitable et surtout légitime. La vraie question n'est pas de savoir si nous devons ou non accueillir ces femmes et ses hommes mais comment le faire. La mémoire délavée est un vibrant hommage à ces migrants d'hier. Parmi ceux d'aujourd'hui se trouvent sans doute des grands-parents des Natacha Appanah du XXIIème siècle.
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