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Critique de Lamifranz


« le Fou d'Elsa » est une des dernières grandes oeuvres poétiques d'Aragon (1963). Après ce monument, les quelques recueils qui suivront (« le Voyage en Hollande » (1964) ou « L'Elégie à Pablo Neruda » (1966), par exemple) seront toujours aussi intéressants mais n'auront pas l'envergure, ou pour être plus précis l'ambition littéraire des recueils précédents.
« le Fou d'Elsa » nous est familier, comme beaucoup de poèmes d'Aragon, par les adaptations exceptionnelles qu'en ont faites cet autre grand poète qu'est Jean Ferrat : c'est en effet du « Fou d'Elsa » qu'ont été tirés « Aimer à perdre la raison » tiré de « La Croix pour l'Ombre », « Les Lilas » tirés du poème éponyme, « Nous dormirons ensemble » tiré de « Vers à danser », « Un jour, un jour » tiré de « Tu vas t'asseoir dans ton destin », « C'est si peu dire que je t'aime » tiré de « Je ne sais pas vraiment pourquoi je continue », « Heureux celui qui meurt d'aimer » tiré de « le vrai djazal d'en mourir »… C'est aussi dans « le Fou d'Elsa » qu'on trouve ce vers : « L'avenir de l'homme est la femme » tiré de « Zadjal de l'avenir » à partir duquel Jean Ferrat écrira et composera son manifeste : « La femme est l'avenir de l'homme ».
L'évocation de ces seuls titres, à elle seule, donne une idée bien entendu, de la profonde qualité, à la fois littéraire et humaine, qui caractérise ces vers qui en quelque sorte, « appellent » la musique. Mais ce n'est qu'une facette de ce recueil qui, à l'instar de celui qui l'a créé, se voile et se dévoile, se cache et se révèle derrière des masques qui eux-même cachent d'autres masques en abyme.
L'argument de départ est historique : le cadre est donné dans le « Chant liminaire » : « La veille où Grenade fut prise », la date est fixée, nous sommes le 1er janvier 1492. Date historique s'il en fut : le lendemain donc, Boabdil, dernier émir musulman du royaume de Grenade, fait sa reddition aux Rois Catholiques, qui ainsi mettent fin victorieusement à la « Reconquista ». 1492 est aussi, ce n'est pas neutre, l'année de la découverte des Amériques. Dans ce cadre, Aragon dresse une immense fresque où il essaye de faire revivre la civilisation musulmane qui a vécu dans ce pays pendant des siècles, et de chercher à comprendre quels points d'achoppement ou de convergence elle peut avoir avec la civilisation occidentale et chrétienne. L'accès n'est pas facile pour qui n'est pas familiarisé avec ce vocabulaire aux mots exotiques et évocateurs (les images s'imposent d'elles-mêmes), mais la magie du verbe emporte tout. Surtout que l'aspect politique, en s'écartant, dévoile l'aspect lyrique de l'oeuvre, qui est un immense chant d'amour : amour multiple d'ailleurs, Aragon évoque aussi bien l'amour de la terre andalouse, de la civilisation musulmane, de son héritage, que l'amour charnel pour une femme, jamais explicitement nommée, mais qui est « l'aimée » et en qui nous devinons bien sûr Elsa, la muse du poète.
Aragon comme un chef d'orchestre, agence et organise entre eux une multitude de thèmes qui contribuent à faire une sorte d'épopée à la fois poétique, historique, philosophique et foncièrement humaniste. Elsa, femme charnelle, femme virtuelle, incarnation de l'amour, dépasse même cette incarnation : elle est aussi la nostalgie du pays perdu, et l'avenir du pays à naître… l'avenir de l'homme.
« le Fou d'Elsa », si on le lit en continu, peut rebuter : on peut être réfractaire au didactisme d'Aragon, ne pas le suivre dans ses épanchements historico-philosophiques, ou dans la forêt des symboles qu'il aligne les uns derrière les autres (ou les uns devant les autres en les dévoilant au fur et à mesure qu'il efface les précédents), mais on peut picorer avec une infini jouissance tant la langue d'Aragon sait se faire tour à tour enjôleuse et épique, familière et savante et toujours éminemment poétique.
Je mets quelques poèmes en citation. Ils n'ont pas été mis en chanson, mais vous direz comme moi après les avoir lus : ils l'auraient mérité.


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