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Critique de batlamb


Vous reprendrez bien un peu de Nakajima Atsushi ? Avec ce recueil, nous revenons là où « Histoire du poète qui fut changé en tigre » s'était arrêté : dans les « Atolls » du sud-Pacifique, où un professeur de japonais (très semblable à Atsushi) découvre la vie ensoleillée et les beautés envoutantes de ces îles, parmi lesquelles l'imposante Mariang. Atsushi a bel et bien exploré les archipels micronésiens vers la fin de sa courte existence, mais je ne sais pas s'il rencontra rencontra vraiment cette femme forte et insouciante, dont la vitalité semble inspirer une honte secrète à un narrateur loin de se gargariser d'appartenir au peuple colonisateur de ces îles.

Au contraire, il s'avère tiraillé entre ses ruminations abstraites et le lâcher-prise dans « la torpeur des mers du Sud ». Atsushi hésite entre la satisfaction de cette vie et la crainte de ne pas pouvoir en profiter pleinement, déjà trop déformé par sa vie antérieure et son imagination. La moindre pensée dégénère chez lui en réflexions abstraites, aux accents angoissés (il nous cite un extrait du Terrier de Kafka). Mais il tient à ces pensées plus qu'au reste du monde. Là réside le « Mal du loup », nommé ainsi d'après Mencius : « celui pour qui un seul doigt est plus précieux que tout et qui ne voit pas qu'il perd l'épaule ou le dos, on dit de lui qu'il a le mal du loup. »

Ce secret douloureux fait languir ses personnages, dont les dérives paranoïaques rejoignent les peurs les plus distantes, comme le fait de craindre le moment où le soleil sera éteint et où notre planète ne sera plus qu'un cailloux froid et mort. Lunaire voire lunatique, le loup ronge en lui ces abstractions qui le maintiennent à distance de ses semblables, mais lui permettent paradoxalement de voir en eux une grande constellation humaine, où chacun à sa place.

Le voyage se poursuit en Corée dans « Paysage avec agent de police », nouvelle plus ancienne. Elle est inspirée par la jeunesse d'Atsushi au sein de ce pays, qui fut brutalement occupé par le Japon pendant la première moitié du XXème siècle (d'où une inimitié tenace entre les deux civilisations). le titre annonce la visée contemplative du texte. Il se parcourt comme un tableau observé sous deux angles différents, entre lesquels on alterne de chapitre en chapitre. L'ouverture d'esprit d'Atsushi y rejaillit en anamorphoses, lui qui se met dans la peau des autres, les coréens, et endosse leur appréhension face au regard des occupants. On retrouve la même démarche empathique que dans le reste du recueil.

D'où l'opposition polie mais ferme de l'auteur face à la « littérature » japonaise propagandiste de la seconde guerre mondiale. L'essai « Sous les arbres pieuvres » exprime ce point de vue en conclusion du recueil. Ce texte fut le tout dernier d'Atsushi, rédigé peu après son retour du Pacifique dans la métropole tokyoïte, où son organisme ne supporta pas longtemps le changement d'environnement. Son sort évoque celui d'Urashima Taro, personnage d'un célèbre conte japonais, qui déchante en s'éloignant de son monde marin de rêve.
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