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Véronique Perrin (Traducteur)
EAN : 9782844853455
96 pages
Allia (25/02/2010)
3.73/5   15 notes
Résumé :


“La flèche coupa trois cils et s’envola au loin ; la victime, qui ne s’était aperçue de rien, continua sans ciller d’injurier son mari. Si grandes étaient, du fait de son art magistral, la vitesse de ses flèches et l’exactitude de sa visée.”
De l’homme accompli à l’homme déchu, en passant par toutes les étapes de l’apprentissage et, parfois, de ses échecs, les huit contes réunis ici évoquent avec un certain sentiment du sublime l’humaine co... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Nakajima Atsushi (1909-1942) est une légende de la littérature japonaise. Elevé dans une famille de lettrés confucéens, il était d'une érudition extraordinaire tant chinoise qu'occidentale, classique ou moderne. Il vécut en Corée colonisée, enseigna en Micronésie occupée. Il écrivit ses contes qui tentent de répondre à des questions existentielles, dans les six mois précédant son décès. Atteint de la tuberculose, il mourut à 33 ans.
Le recueil est composé de huit histoires très denses qui demandent une lecture attentive. Toutes ne m'ont pas procuré un égal plaisir. Je vous parlerai donc uniquement de mes préférées.

-Monts et Lune. Atsushi reprend une très vieille légende chinoise et s'amuse à broder dessus. C'est la fameuse histoire du poète qui fut changé en tigre. Un poète raté trop orgueilleux est transformé en tigre. Enfin il peut se faire entendre ! Sous forme de rugissement sauvage. Mais l'histoire ne s'arrête pas là ! Même transformé en tigre farouche, couché dans sa caverne, il se rêve encore en poète délicat.

-Le fléau des lettres. le conte se déroule sous le règne du grand roi Assubarnipal en Assyrie. Chaque soir dit-on dans les ténèbres de la bibliothèque se tiennent d'étranges conciliabules. Il ne s'agit pas d'une conjuration, non, mais bel et bien de conversations entre esprits. le grand roi Assurbanipal convoque alors le vénérable savant Nabu-ahhe-eriba, oeil saillant, barbe cannelée et lui confie l'étude de cet esprit inconnu. le conte est très réussi, à suspense et présente une réflexion sur l'écriture.

-La momie. le roi de Perse Cambyse a envahi l'Egypte. Un de ses officiers Pariskas qui est aussi un doux rêveur se sent mal à l'aise en présence des prisonniers égyptiens. Il se rend compte qu'il comprend le sens de leurs propos. A la même époque le roi Cambyse a fait assassiner le roi d'Egypte en lui faisant boire du sang de boeuf et il ordonne de trouver la sépulture du père. Pariskas est engagé dans cette expédition profanatoire…

-Le maître fabuleux. Conte drôle et pittoresque qui raconte comment le jeune freluquet Ji Chang, habitant de Handan, apprend à maîtriser l'arc. le grand maître Gan Ying lui enseignera alors l'accomplissement ultime de l'agir dans le non-agir : le tir qui ne tire pas.

-le Bonheur : les esprits ont parfois très mauvais esprit. Un pauvre larbin humilié cruellement rêve chaque nuit qu'il est le maître. Et le maître chaque nuit rêve qu'il est cruellement humilié comme le pauvre valet.

Un grand merci Batlamb !
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La postface de ce recueil présente Nakajima Atsushi comme un cousin japonais de Marcel Schwob. Et on comprend pourquoi en lisant ces récits où une érudition extrême s'efface derrière le plaisir du conte. Spécialiste de la culture chinoise, l'auteur s'amuse à en reprendre une vielle légende, qui contient une morale explicite : l'orgueil mal placé provoque un retour à l'état animal. Comme si le cycle karmique, devenu kafkaïen, n'attendait plus qu'un simple endormissement pour se mettre en action. Mais on peut tout de même s'interroger : le poète fut-il vraiment changé en tigre, ou bien s'agissait-il d'un tigre paranoïaque et doté de parole, rêvant qu'il avait été poète ?

Atsushi retranscrit malicieusement la doctrine taoïste, allant jusqu'à frôler la parodie avec « Le maître fabuleux », où un archer apprend de façon extrême à faire le vide dans son esprit en vue d'atteindre la perfection dans son art.

Egalement féru de lectures occidentales, Atsushi s'appuie sur les dialogues de Platon… et semble même préparer le terrain pour Borges. Dans « Le Fléau des lettres », les caractères gravés sur les anciennes tablettes babyloniennes deviennent l'incarnation de démons bien réels, qui fracturent le monde en des signes disjoints. Puis « La momie » d'un roi égyptien fait basculer un profanateur perse vers une réminiscence infinie de ses vies antérieures.

Quant à l'inspiration divine décrite dans l'Ion de Platon, elle devient ici une prétendue « Possession » par des esprits, sous le regard d'un narrateur faussement naïf qui raconte l'étrange apparition du besoin de déclamer des histoires au sein du peuple Scythe. Notre poète pré-homérique se taille malgré lui un destin à la Achille… ou à la Atsushi (dont la période de création fut brève mais intense).

L'héritage kafkaïen devient encore plus visible lors de la seule histoire vraiment horrifique du recueil : « L'homme-buffle », théâtre d'un rapport monstrueux entre père et fils. Là où Gregor Samsa était le souffre-douleur de sa famille, le monstre de cette histoire inverse totalement les rôles. Il est aidé par des rêves mensongers, que la réalité renvoie en négatif.

Les jeux de miroir oniriques continuent de troubler le réel dans « Le bonheur », afin de brouiller les rapports entre maître et serviteur. Rêve et vie matérielle jouent à cache cache.

Cette fin de recueil évoque aussi le folklore des îles pacifiques où Atsushi enseigna le japonais au début de la seconde guerre mondiale. Dans le même cadre, mais sans éléments fantastiques, « La poule » continue de décrire le réel comme une entité double, aussi compréhensible et incompréhensible que le tao. Sous la plume d'Atsushi, cela peut s'avérer à la fois drôle et inquiétant.
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On ne soupçonne pas voyager autant sur le globe et dans l'Histoire en ouvrant naïvement un si petit recueil de contes. On pense plonger dans une suite de contes traditionnels japonais, et on se retrouve aspiré en Chine sous la dynastie des Tang ou plus loin encore dans le passé à l'époque des Royaumes combattants, en Assyrie dans la bibliothèque du roi Assurbanipal, dans l'Égypte envahie par Cambyse roi de Perse, dans un petit village lacustre des Scythes, ou au coeur des îles de Micronésie. Cette collection syncrétique de huit contes originaux, façonnés par la plume habile et érudite de Nakajima Atsushi, s'inspire des Classiques chinois et des Humanités gréco-latines, puise dans les références pascaliennes comme dans l'expérience personnelle de l'auteur parmi le peuple des îles, avec une aisance et une simplicité admirables.

On y rencontre des poètes maudits, l'un métamorphosé en tigre et l'autre comme possédé par l'âme de son frère défunt, un officier perse chargé de retrouver la momie du roi Amasis, un savant assyrien enquêtant sur un mal étrange transmis par les lettres, un homme-buffle aux deux visages, un maître du tir à l'arc en quête de l'ultime perfection de son art, un homme rompu à la servitude et devenant seigneur en rêve, ou un vieil îlien à la personnalité ambivalente. le fantastique s'immisce dans nombre de ces histoires, par petites touches presque lovecraftiennes, mais ce sont toutes ces références érudites qui insufflent leur âme à ces histoires parées d'une élégante philosophie.

« La parole suprême rompt avec la parole, le tir suprême ne tire pas. » Nul doute que Nakajima Atsushi parvient en si peu de mots à toucher sa cible. le titre de ce recueil est celui du premier conte, certainement le plus connu de l'auteur et originellement intitulé Sangetsuki (山月記), Monts et Lune. Ce poète changé en tigre est « un rêveur délicat (…) qui découvre que la réalité est aussi incertaine, et demeure aussi incompréhensible, qu'un songe où l'on se dit : il me semble que je rêve. » Cette phrase résume bien, je trouve, tout l'esprit de ces contes.
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Je crois que jamais je n'ai autant apprécié des nouvelles aussi courtes, l'auteur a un réel talent pour nous faire découvrir son univers très spécial, et c'est un réel plaisir à lire. J'ai maintenant hâte de découvrir d'autres textes de cet auteur.
Lien : https://comaujapon.wordpress..
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Les Égyptiens considèrent l’ombre d’une chose comme une partie de son âme ; les caractères ne seraient-il pas, justement, une ombre de cette sorte ?

Le caractère « lion » n’est-il pas l’ombre d’un lion véritable ? Et le chasseur qui connaît le caractère « lion » ne poursuit-il pas une ombre à la place du lion véritable, tout comme l’homme qui a appris le caractère « femme » embrassera l’ombre de la femme au lieu d’une femme véritable ? Avant le déluge de Pir-napishtim, en des temps reculés ou l’écriture n’existait pas, toute joie et toute sagesse entraient directement en l’homme. À présent, nous ne connaissons plus qu’une ombre de joie et une ombre de sagesse recouvertes du voile de l’écriture. Les gens de nos jours ont mauvaise mémoire. Les génies de lettres leur ont aussi joué ce mauvais tour. Ils ne peuvent désormais se souvenir d’aucune chose s’ils ne l’ont mise par écrit. La peau des hommes est laide, affaiblie, depuis qu’ils portent des vêtements. Laides et affaiblies sont leurs jambes, depuis qu’a été inventé le moyen de se faire transporter. Avec la banalisation de l’écriture, leur tête a définitivement cessé de fonctionner.
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Folie, ô coup du sort, m’a rendu inhumain
Je n’ai pu éviter ni malheur ni chagrin

Aujourd’hui, griffe et croc, à qui ne fais-je peur ?
Jadis, au moins de nom, nous avions même hauteur

Me voici animal entouré d’herbe folle
Et vous, plein de vigueur, juché sur la carriole

J’ai devant moi la lune, les pics et les vallées
Mais le souffle me manque, je ne sais que feuler
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L’agir suprême est non-agir, la parole suprême rompt avec la parole, le tir suprême ne tire pas.
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la réalité est aussi incertaine, et demeure aussi incompréhensible, qu'un songe ou l'on se dit : il me semble que je rêve
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Plongée dans l'ambiance asiatique, songes et mensonges des personnages se mêlent aux animaux somptueux du Japon. Contes et histoires à méditer pour profiter sainement de la vie.
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