Mieux vaut régner dans l'Enfer que servir dans le ciel.
Lucifer, c'est ainsi que se faisait alors appeler notre ennemi. Un des premiers archanges, grand en pouvoir, en faveur, en prééminence. Ce jour-là, les armées célestes avaient été convoquées devant le trône du Tout-Puissant.
Impératrice de ce beau monde, j'étais d'abord comme les autres bêtes et ne comprenais rien d'élevé, jusqu'à ce qu'un jour vaquant dans la campagne, je découvris un bel arbre chargé de fruits exhalant un parfum savoureux. M'entortillant soudain au tronc de cet arbre, je pus manger à satiété. Jamais, je n'avais trouvé un pareil plaisir. Je ne tardais pas à apercevoir en moi un changement étrange. Je pouvais parler et me livrer à des pensées profondes et élevées. Dans ta divine image, je trouve réuni tout ce qui est bon et beau. Voici pourquoi je suis venu te contempler et t'adorer.
Lancez-les dans le gouffre du Tartare !
Croissez, multipliez, et remplissez la Terre et assujettissez-la. Et dominez les poissons de la mer et les oiseaux du ciel. Ne craignez pas la disette. Vous pouvez manger de tous les fruits des arbres de ce jardin. Mais… Vous devez éviter de goûter du fruit dont la saveur apporte de la connaissance du bien et du mal. Le jour où vous en mangerez, vous mourrez.
Comme les matelots qui ont cinglé au-delà du cap de Bonne Espérance et ont déjà dépassé le Mozambique sont surpris, au large, par les parfums du Saba, de la même façon l'Ennemi fut accueilli par les suaves émanations du Paradis, capables d'ôter du cœur, toute peines, hormis le désespoir. Ainsi le premier grand voleur venait de pénétrer dans le bercail de Dieu qui, depuis lors, ne cesserait plus d'être franchi par d'impurs mercenaires il se posa sur l'arbre le plus haut de l'Éden. L'arbre de vie. Ainsi perché, il commença à ourdir la mort de tout ce qui ici-bas vivait.
Ô soleil, combien je hais désormais tes rayons ! Moi qui m'élevais avec gloire sur ta sphère ! Jusqu'à ce que l'orgueil et l'ambition m'aient précipité dans l'abîme pour déclarer la guerre au roi du ciel ! Il m'avait créé dans un rang éminent. Être à son service n'avait rien de rude. Mais sa bonté n'a produit en moi que malice. Comment supporter cette dette immense d'une reconnaissance éternelle ? Payer et toujours payer, et toujours devoir.
Le concile stygien se dissout, et chaque démon, à l'aventure, prend un chemin différent. Les uns s'entraînent et luttent. D'autres, retirés dans une vallée silencieuse, chantent leur propres héroïques combats et le malheur de leur chute. D'autres, en escadrons, cherchent à découvrir si, aux confins de ce monde sinistre, quelque climat peut-être ne pourrait leur offrir une habitation plus supportable. Ils dirigent leur marche ailée le long des rivages des rivières infernales. L'Achéron, profond et noir fleuve de la douleur. Le Cocyte aux ondes pleines de lamentations. Et le long et silencieux courant du Léthé. Le fleuve de l'oubli. Cependant Satan bat des ailes rapides et se dirige solitaire vers les portes de l'Enfer. Après avoir parcouru, sans répit, les limites de cette contrée dédolée dans l'air ardent des cavités les plus hautes, enfin il les trouve. Alors un effluve intense et inconnu l'entoure comme de serres invisibles.
A mon avis, régner est digne d'ambition, même en Enfer ; mieux vaut régner dans l'Enfer que servir dans le Ciel.
Qui peut tromper l'esprit de celui dont l'oeil voit tout.