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Critique de Sofiert


Paul Auster a annoncé que ce roman était probablement le dernier qu'il écrivait et qu'il devait consacrer ses forces au combat contre la maladie.
Il est tentant dès lors de lire ce livre comme le testament autobiographique d'un septuagénaire , d'autant que le héros-narrateur est un écrivain septuagénaire nommé Baumgartner, nom à la consonance proche de celui de Paul Auster.
Par ailleurs, l'auteur a semé de nombreux petits cailloux qui autorisent l'identification.

Il donne à son personnage une épouse poète et écrivaine de talent ( même si elle n'est pas publiée), qui s'appelait Anna Blume avant son mariage ( référence à l'un de ses romans), et dont la mère et le grand-père étaient des Auster. Mais ces indices sont bien davantage des clins d'oeil malicieux, d'autant plus que Siri Hustvedt est toujours bien vivante.

On sait que Paul Auster affectionne et maîtrise parfaitement les jeux de piste.
Dans 4321, il avait proposé quatre avatars de l'homme qu'il aurait pu être. On peut alors imaginer que ce Baumgartner serait son cinquième avatar !

Le livre démarre en fanfare sur une série d'accidents qui relèvent du burlesque . Sy Baumgartner, 70 ans, professeur de philosophie à Princeton, se brûle la main avec une casserole. le téléphone sonne et il apprend par la fille de sa femme de ménage que son mari s'est sectionné deux doigts avec une scie. Puis, alors qu'il escorte Ed Papadopoulos, un jeune préposé aux compteurs jusqu'au sous-sol, il tombe dans les escaliers et se blesse au genou.
Paul Auster ne ménage pas son personnage et n'hésite pas à se moquer du cerveau vieillissant des personnes âgées incapables de mener à bien plusieurs tâches à la fois ( passer un coup de téléphone à sa soeur, aller chercher un livre, fermer la braguette du pantalon ...).
Le thème de la mémoire est ainsi partout décliné dans toutes ses ramifications.

Alors même qu'il est maltraité, Baumgartner apparaît comme un personnage sympathique : attentif aux autres, il console la petite fille et s'inquiète de la carrière de Papadopoulos.

Juste au moment où il semble que le roman va se transformer en une histoire sur une amitié improbable entre Sy et Ed – le vieil universitaire et le jeune employé – Auster fait disparaître le personnage et emporte Baumgartner dans le passé.
Il se souvient de la mort inattendue de son épouse Anna qui s'est noyée il y a dix ans. Il raconte l'état de sideration qui a suivi, puis sa plongée dans la lecture de ses manuscrits jusqu'à sa décision de trouver un éditeur pour publier un recueil de ses poèmes.

Il va jusqu'à faire une incursion dans le surnaturel en décrivant un appel téléphonique d'Anna qui lui raconte ce que ça fait d'être mort.
"Il n'y a pas de punition, ni de récompense divine, ni trompettes ni feux de l'enfer, pas de havre de bonheur céleste, et aucun être humain ne reviendra jamais sur terre sous la forme d'un papillon, d'un crocodile ou de la prochaine incarnation de Marilyn Monroe. "
Sous l'humour jaillit l'angoisse du" Grand Nulle-part, espace noir dans lequel rien n'est visible, espace de nullité vide et silencieux, l'oubli propre au vide. "
Une fois encore, la mémoire et l'oubli sont au coeur du questionnement philosophique de Paul Auster

C'est d'ailleurs au cours de réflexions sur la mémoire qu'il décide de retourner dans son passé lointain.
Il évoque alors son père, propriétaire d'un magasin de vêtements d'origine polonaise, et sa mère couturière. Un père qui se rêvait révolutionnaire et menait une vie bourgeoise, une mère effacée qui n'a jamais connu ses parents.
Cette recherche des origines familiales aboutit sur l'absence et sur une certaine infamie du côté des grands-parents maternels, et sur l'insertion d'un texte écrit en 2017 lors d'un voyage en Ukraine sur les traces de son grand-père paternel.
Dans ce texte, il racontait la difficulté de connaître la vérité lorsque l'histoire s'efface au profit du récit et faisait coïncider cette réflexion avec son amour de la littérature.
" En l'absence d'aucune information susceptible de confirmer ou d'infirmer l'histoire qu'il m'a racontée, je choisis de croire le poète."

Le récit familial est un passage obligé dans les romans mémoriels, et Auster s'y plie avec complaisance. Pour autant, n'oublions pas à quel point il aime jouer avec l'identité et l'illusion tout en imbriquant des histoires les unes dans les autres.
Ses personnages ont souvent partagé certaines particularités de leur créateur sans pour autant lui correspondre, et peut-être aurions nous tort de confondre réalité et fiction, de penser que Paul Auster se soit livré à un transfert autobiographique.
En fait cela importe peu lorsqu'il s'agit de littérature, l'essentiel est la vérité que nous donnent les personnages. C'est ce que déclare l'auteur, lui qui préfère le faux au vrai, qui choisit de croire aux loups du poète.

Certes ce court roman ne brille pas par son originalité et son architecture dans l'oeuvre de Paul Auster. L'intrigue est minime et le personnage du vieillard qui se remémore son passé très conventionnel
Mais ce qui le distingue repose sur la qualité de la prose et sur l'intelligence des observations, et dans la manière dont ses personnages sont incarnés avec humour et tendresse.

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